Comment des militants syndicaux

peuvent-ils aider à la reconnaissance

de maladies professionnelles dues à l’amiante?

 

Les militants syndicaux, et tout particulièrement les élus au CHSCT, parce qu'ils sont sur le terrain et connaissent les conditions de travail dans l'entreprise peuvent apporter une aide importante à la déclaration et à la reconnaissance d'une maladie professionnelle.

Dans ce travail, le syndicat d'entreprise peut disposer de points d'appui en travaillant, avec le syndicat de retraités, l'association de victimes, la mutuelle, la consultation de pathologie professionnelle. L'existence d'administrateurs syndicaux dans différentes instances de la sécurité sociale devrait aussi pouvoir l’aider .

Ce texte vise à attirer l'attention sur un certain nombre d'outils et de dispositions légales qui ne sont pas toujours utilisées. Elles concernent pour l’essentiel le secteur privé.

 

AIDER A LA DECLARATION DES MALADIES

 

En théorie, les choses sont simples :

En pratique, cette déclaration se heurte à de nombreuses difficultés : absence d’information des salariés, inertie ou refus d’une grande partie du corps médical, menaces patronales sur le déroulement de carrière et l’emploi, difficulté à intégrer la prise en compte de la santé au travail dans la pratique syndicale quotidienne.

Informer, convaincre…

Lorsqu’il a connaissance d’une maladie professionnelle non déclarée, un délégué peut et doit aider à constituer un dossier.

Il doit être capable de donner aux personnes concernées et à leur familles des indications pratiques sur la façon de faire pour ne pas compromettre les chances du dossier d’aboutir.

Il doit aussi être capable de faire un travail d'information et de conviction auprès d'eux et de leur famille sur leurs droits et sur l’utilité d’une déclaration.

Cela dit, la déclaration de cancers professionnels présente des difficultés particulières. La maladie peut apparaître plusieurs dizaines d’années après l'exposition. Les déclarations de maladies professionnelles sont souvent déposées par des retraités.

Elles peuvent être ignorées par les syndicats et le CHSCT de l'entreprise, qui ne découvrent parfois leur existence que plusieurs mois après.

Comment récupérer l'information sur les maladies professionnelles déclarées ?

L’information sur les maladies professionnelles doit figurer dans des documents officiels de l’employeur et du médecin du travail.

Il est réalisé par l'employeur et présenté au CE. L'indicateur 331 donne le nombre et la dénomination des maladies professionnelles déclarées

Il est discuté en C.E. et en CHSCT. L'indicateur 7.2.2. donne le nombre de maladies professionnelles déclarées

La simple consultation d’une collection de ces documents peut permettre d’avoir rapidement une idée des maladies déclarer sur une vingtaine d’années.

Pour pouvoir jouer pleinement leur rôle, les élus syndicaux doivent demander que soit mentionné en clair le nom de la maladie et le numéro du tableau.

Ils doivent également demander à la direction et aux médecins du travail - s’ils ne le font pas spontanément - une information en temps réel sur l’existence de ces déclarations, sans attendre la publication de ces documents officiel qui peut intervenir plusieurs mois après.

Une dimension de l’activité syndicale quotidienne

Le repérage et la déclaration des maladies professionnelles seront d’autant plus efficaces qu’elles auront été précédées d’un travail syndical de fond :

AIDER A LA RECONNAISSANCE

Le syndicat et les élus au CHSCT ne doivent pas laisser aux médecins du travail le monopole dans ce domaine.

Ils peuvent et doivent jouer un rôle en tant que tel pour retrouver la mémoire des expositions professionnelles passées.

Ils ont pour cela de nombreux outils à leur disposition.

Le CHSCT a le droit en tant que tel de décider une enquête sur une maladie professionnelle

Les élus du personnel dans les CHSCT sont très familiers des dispositions légales concernant les enquêtes du CHSCT consécutives à des accidents du travail.

Mais il y a parfois une tendance à oublier que la loi N° 82-1097 du 23 décembre 1982 prévoit explicitement une extension de ces dispositions aux maladies professionnelles :

Code du Travail  (article L236-2) : le CHSCT " effectue des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel ".

Pour remplir sa mission de prévention, il peut donc décider de sa propre initiative sa propre enquête suite à une maladie professionnelle indépendamment de toute autre enquête existante ou à venir (par la caisse, la CRAM, etc.).

Son objectif premier est d’analyser les conditions de travail et la nature des expositions, afin d’éviter la survenue d’autres maladies professionnelles.

Ce travail peut fournir de précieux éléments d’information pour apporter des preuves de l’exposition.

L’enquête peut permettre de recueillir des témoignages écrits de salariés et de retraités sur les expositions. Elle peut également mener des investigations en demandant à avoir accès à des données techniques (plans, composition des matériaux, notice constructeur de telle ou telle installation...)

Elle peut déboucher sur la diffusion de questionnaires d’exposition à l’ensemble des salariés et des retraités, comme cela s’est fait dans un certain nombre d’entreprises.

N.B. : La décision d’une enquête maladie professionnelle n’est pas nécessairement toujours la solution la plus adaptée. On peut également faire la choix de constituer des structures spécifiques associant directement les salariés des secteurs concernés, comme cela a été fait avec le " Comité de défense de la santé des travailleurs de l’Alsthom " à St-Ouen qui regroupe des militants CFDT, CGT et des non syndiqués.

Le CHSCT peut recourir à une expertise

L’employeur a des obligations légales :

Ces carences renforcent la légitimité d’un recours à l’expertise qui fait partie des prérogatives du CHSCT.

"I -  Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé :

1° Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement

(...)

III - Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur.

Si l’employeur entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue et le délai de l’expertise, cette contestation est portée devant le Président du tribunal de Grande Instance statuant en urgence. 

L’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement. Il lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

(...)

Actuellement deux arrêtés agréant les experts pour une durée maximale de deux ans ont été pris. Au total une soixantaine d’organismes ou d’individus, avec notamment :

Les recours à l’expertise se heurtent souvent à une contestation des employeurs.

Mais la jurisprudence ne leur est pas nécessairement favorable, comme le montre l’analyse de deux jugements importants à l’Alstom Saint Ouen et au CHU de Clermont

  1. L’ordonnance de référé rendue le 28 juillet par le tribunal de Grande Instance de Bobigny concernant GEC Alsthom Saint Ouen.

La société GEC Alsthom avait saisi le tribunal pour s’opposer à la décision du CHSCT du 14 mai qui mandatait un cabinet d’expertise indépendant pour effectuer un diagnostic d’empoussièrement des lieux (après la remise d’un rapport contesté du C.E.P.)

Les attendus du jugement méritent attention. Ils indiquent en effet que :

L’ordonnance du tribunal condamne GEC-Alsthom à payer 10.000 francs au CHSCT et décide que " le cabinet Émergence pourra commencer l’exécution de sa mission dès la signification de la décision à la société GEC Alsthom, nonobstant toutes les voies de recours ".

  1. L’ordonnance de référé rendue le 10 novembre 1998 par le tribunal de grande instance de Clermont Ferrand (CHU de Clermont)

Une liste de personnes exposées à l'amiante dans cet hôpital est demandée par les représentants du personnel. Refus de la direction.

La CGT saisit le TGI de Clermont. Il désigne un expert avec mission de :

Plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes exposées dans l’entreprise, mais aussi chez les stagiaires et le personnel des sociétés sous-traitantes peuvent être ainsi recensées par l’expert.

Les élus au CHSCT doivent pouvoir apporter des informations lors de l’enquête de la caisse primaire

Le Code de la Sécurité sociale (articles L-442 et suivants) définit les conditions dans lesquelles la caisse primaire, informée d’une maladie ou d’une blessure paraissant devoir entraîner la mort ou une incapacité permanente ou totale de travail, ou informée d’un décès doit faire procéder à une enquête par un agent assermenté.

" L’enquête a pour but de rechercher :

L’enquête est contradictoire. La victime a le droit de se faire assister par un ouvrier ou un employé de la même profession, par ses père, mère ou conjoint, ou par un délégué de son organisation syndicale ou de son association de mutilés ou invalides du travail. Le même droit appartient à la victime en cas d’accident mortel.

L’agent assermenté consigne les résultats de son enquête dans un procès-verbal qui fait foi, jusqu’à preuve du contraire, des faits qu’il a constatés. "

" Un rapport peut en outre être communiqué à la caisse par les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou par les délégués du personnel ".

Il est donc essentiel que les CHSCT (ou a défaut les délégués du personnel auquel la législation donne les mêmes prérogatives lorsqu’il n’y a pas de délégués du personnel) aient l’information en temps voulu, afin de pouvoir jouer leur rôle.

Le Code de la Sécurité sociale prévoit que :

1) l’enquête de la caisse est contradictoire (autrement dit elle doit recueillir différents points de vue et pas seulement celui de l’employeur et du médecin du travail)

2) les délégués du personnel ou les élus au CHSCT peuvent assister la victime lors de cette enquête

3) le CHSCT ou les délégués du personnel peuvent adresser un rapport à la caisse

Comment utiliser les documents que doit rédiger le médecin du travail ?

Des informations importantes doivent figurer au chapitre 3 de ce rapport :

3. Données numériques sur le nombre de salariés soumis à des risques faisant l’objet d’une réglementation spécifique :

3.1 effectif soumis à une surveillance médicale particulière

3.1.1 nombre de salariés soumis à surveillance médicale particulière

3.1.2. nombre de salariés par risque de surveillance médicale particulière

3.2. Effectif soumis à un risque de maladie professionnelle indemnisable

En cas d’exposition à l’amiante on doit donc trouver :

La discussion sur le nombre de salariés concernés, le nombre et la nature des examens médicaux est essentielle.

Le décret du 14 mars 1986 retranscrit dans l’article R. 241-41-3 du Code du Travail indique :

" Dans les entreprises et établissements de plus de 10 salariés, le médecin du travail établit et met à jour une fiche d’entreprise sur laquelle sont consignés notamment les risques professionnels et les effectifs des salariés exposés à ces risques.

Cette fiche est transmise à l’employeur. Elle est tenue à la disposition de l’inspecteur du travail et du médecin inspecteur régional du travail. Elle est présentée au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en même temps que le bilan annuel prévu à l’article L. 236-4.

La fiche d’entreprise peut être consultée par les agents des services de prévention des caisses régionales d’assurance maladie et par ceux des organismes mentionnés à l’article L.

Le modèle de fiche est fixé par arrêté ministériel "

Ce document doit fournir une véritable cartographie par secteur des risques et des expositions professionnelles sur un établissement donné. Cet état des lieux doit être régulièrement remis à jour.

L’expérience montre qu’il est très souvent oublié ou bâclé par les médecins du travail.

Son existence et son contenu sont donc un enjeu.

Plusieurs dispositions légales concernant l’ensemble des produits cancérogènes s’appliquent à l’amiante. L’une d’elles prévoit que si un salarié exposé au risque cancérogène se révèle porteur d’une anomalie, s’il est atteint d’une maladie professionnelle pouvant résulter d’une telle exposition, tout le personnel ayant subi une exposition analogue sur le même lieu de travail doit bénéficier d’un examen médical, assorti éventuellement d’examens complémentaires, analyses, etc. (Code du Travail, article R. 231-56-11,II).

Cette disposition doit – si nécessaire - être rappelée au médecin du travail. La liste des salariés concernés doit être communiquée au CHSCT.

Le décret du 26 mars 1993 prévoit la remise d’une attestation d’exposition à l’amiante qui doit être " remplie par l’employeur et le médecin du travail ".

Ces attestations d’exposition sont une condition pour bénéficier d’un suivi médical post-professionnel gratuit financé par le FASS.

Pour les personnes exposées, qui quittent un établissement, une attestation d’exposition à l’amiante convenablement remplie peut donc être un moyen de bénéficier d’un bilan de santé mais aussi une aide pour la reconnaissance d’une éventuelle pathologie qui se déclarerait ultérieurement.

Cela dit, l’application de ces dispositions se heurte à l’inertie des employeurs et des médecins du travail qui ne remplissent pas ces dispositions ou traînent pendant des mois avant de les délivrer.

L’activité des CHSCT doit donc s’efforcer de :

Dans l’état actuel de la législation, la personne concernée ne peut en avoir communication directement de son propre dossier médical. Elle doit pour cela passer par l’intermédiaire d’un médecin qui en fait la demande auprès du médecin du travail.

Par contre l’intéressé peut demander au médecin du travail la délivrance d’une fiche médicale spéciale, qui lui est remise en main propre sans passer par un autre médecin.

L’article R-241 du Code du Travail prévoit que lorsque le salarié en fait la demande ou lorsqu’il quitte l’entreprise, le médecin du travail établit une fiche médicale en double exemplaire. Il en remet un exemplaire au salarié et conserve le second dans le dossier médical de l’intéressé (Un arrêté du 23 juin 1970 fixe le modèle de la fiche médical spéciale).

Cette fiche ne reprend pas le dossier médical in extenso, mais elle devrait logiquement contenir toutes les expositions susceptibles de générer des pathologies professionnelles.

Cette disposition peut être utilisée pour aider à faire sauter le blocage éventuel d’un employeur sur la délivrance des attestations d’exposition.

De nombreux outils existent pour que syndicat et CHSCT aident à la reconnaissance des maladies professionnelles. On n’avancera pas dans de domaine sans une réflexion sur la pratique syndicale.

 

Alain Bobbio