A Monsieur le Doyen des Juges
dInstruction près le Tribunal
de Grande Instance de BOBIGNY
PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE
1 - LASSOCIATION NATIONALE DE DEFENSE DES VICTIMES DE
LAMIANTE (ANDEVA), dont le siège est à 75015
PARIS - 3 Rue Sainte Félicité.
Représentée par son Président Monsieur Marcel ROYEZ,
domicilié au siège de lAssociation.
Ayant pour Avocat :
Maître Jean-Paul TEISSONNIERE, Avocat au Barreau de la SEINE SAINT DENIS, 5 Rue du 19 mars 1962 93000 BOBIGNY, téléphone : 01 48 30 60 61., télécopie 01 48 30 87 99., toque A 440.
SCP TEISSONNIERE & ASSOCIES
Maître Michel LEDOUX, Avocat au Barreau de PARIS
SCP LEDOUX - PEROL & ASSOCIES
10 Rue Portalis 75008 PARIS,
téléphone 01 42 93 99 82, télécopie 01 42 93 97 28., toque P 321.
Elisant domicile en leur cabinet,
ONT LHONNEUR DE PORTER A VOTRE CONNAISSANCE LES FAITS SUIVANTS :
1 - UNE CATASTROPHE ANNONCEE
Lamiante provoque chaque année plusieurs milliers de décès en FRANCE. Il est à lorigine de plus de la moitié des cancers professionnels.
Tous les Experts saccordent à constater une augmentation extrêmement rapide du nombre de pathologies dues à ce matériau et certains nhésitent pas à parler à ce sujet d" épidémie ".
La croissance de la mortalité due à lamiante peut-être mesurée à partir dune pathologie particulière, le mésothéliome, qui est un cancer spécifique de lamiante touchant la plèvre et le péritoine. Toutes les données disponibles montrent un accroissement continu et extrêmement alarmant (registre des décès de lINSERM, reconnaissances en maladie professionnelle, registre national des cancers).
* LINSERM enregistre sous le code 163 les tumeurs malignes primitives de la plèvre, tumeurs qui sont essentiellement des mésothéliomes : leur nombre a triplé durant les 25 dernières années. De 320 décès par mésothéliome de la plèvre en 1968, on atteint 902 décès en 1993...
* Le nombre de mésothéliomes reconnus en maladie professionnelle augmente lui aussi régulièrement depuis son inscription dans le tableau 30 des maladies professionnelles en 1976. Si en 1980, 20 mésothéliomes étaient reconnus en maladie professionnelle, 89 létaient en 1993.
* Une étude réalisée à partir du registre national des cancers, publiée dans le numéro du 18 mars 1996 du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire de la Direction Générale de la Santé, a montré que le nombre de cas de mésothéliome a augmenté en FRANCE de 25 % tous les 3 ans entre 1979 et 1990. Lincidence estimée par cette étude est denviron 600 cas par an pour la France entière.
Durant le mois de mars 1995, la revue britannique " THE LANCET " a publié une étude de lépidémiologiste Julian PETO, de lInstitut de Recherche sur le Cancer de SUTTON, qui prévoit que la croissance du nombre de décès par mésothéliome pourrait, compte tenu du temps de latence de cette maladie, se poursuivre au même rythme durant les 25 prochaines années pour atteindre environ 3 000 décès par an en GRANDE-BRETAGNE en 2020. Si lon ajoute à cela les décès par asbestose et cancer du poumon, près de 10 000 décès par an en GRANDE-BRETAGNE pourraient être provoqués par lamiante à lhorizon 2020.
Ces données ne sont guère surprenantes. La nocivité de lamiante est connue depuis le début du siècle. A cette époque on enregistrait déjà un grand nombre de décès parmi les travailleurs de lindustrie de lamiante. Le panorama complet des maladies dues à lamiante est connu depuis 1960, en particulier en ce qui concerne son caractère cancérogène. Les dégâts provoqués par lamiante ont été soigneusement étudiés et dénoncés dès les années 1960, en particulier par le Professeur SELIKOFF aux ETATS-UNIS, de telle sorte que ni les industriels concernés, ni les pouvoirs publics ne pouvaient les ignorer. Entre 1975 et 1980 un important mouvement dopinion se développa contre lamiante. Ce mouvement fut initié par le Collectif Amiante de JUSSIEU et relayé par plusieurs médecins qui prirent publiquement position contre lamiante. Il reçut un large écho dans les médias et le Quotidien du Médecin pouvait titrer en juin 1976 :
" Amiante : le rôle cancérigène est admis par tous ".
Sous la pression, les pouvoirs publics finirent par édicter la première réglementation.
Ces textes bien insuffisants seront peu modifiés jusquen 1995, année durant laquelle les associations parvinrent à remettre au premier plan la question de lamiante et à mobiliser les médias.
En juillet 1994, des veuves denseignants décédés de cancers après avoir travaillé dans un lycée de GERARDMER floqué à lamiante décident de porter plainte contre X pour homicide involontaire.
En octobre 1994, se crée le Comité Anti-Amiante JUSSIEU qui distribue, le 2 novembre 1994, un tract intitulé " lamiante à JUSSIEU : lair contaminé ".
Cest le début de la mobilisation anti-amiante.
Fidèle à sa tactique, le Comité Permanent Amiante - structure de lobbying créé par les industriels de lamiante - organise le 7 novembre 1994 une conférence de presse pour rassurer et essayer détouffer laffaire. Le journal " Libération " traduit fidèlement le propos en titrant " lamiante nest pas toujours dangereux affirment des médecins et industriels ".
Mais il est déjà trop tard... Le 8 novembre 1994, France Soir fait sa " une " sur lamiante en titrant " amiante : alerte ! " et consacre deux pages à la situation du campus JUSSIEU.
Progressivement, lensemble des médias sintéresse à laffaire de lamiante. Les images des faux plafonds de JUSSIEU provoquent une prise de conscience générale. La mobilisation sorganise dans plusieurs établissements d'enseignement pour obtenir le retrait de lamiante.
Le 21 mars 1995, le Comité Anti-Amiante JUSSIEU organise un colloque " amiante : un problème de santé publique " avec la participation de spécialistes internationaux, Messieurs PETO, NICHOLSON et GUILLEMIN. Ces Experts font un constat alarmant, bien loin des propos rassurants du CPA.
Le 30 mai 1995 plusieurs associations qui suivent ce dossier depuis plusieurs années, lALERT (Association pour lEtude des Risques du Travail), la FNATH (Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés), la Ligue contre le cancer du VAL DOISE, avec le soutien de la Mutualité Française, organisent une conférence de presse. Elles y dénoncent " les méfaits de lamiante sur la santé des populations et demandent des mesures de prévention et de réparation des victimes, ainsi que le bannissement de lamiante ".
Plusieurs journaux publient des articles de fond sur le problème de santé publique posé par lamiante, en particulier Le Monde du 31 Mai 1995 qui titre " Lhéritage empoisonné de lamiante " et le mensuel " Science et Avenir " de juin 1995.
Interpellés par cette mobilisation, les pouvoirs publics consentent enfin à agir, non sans tergiversations.
Un projet de décret du Ministère de la Santé est préparé pour le mois de septembre 1995. Il est cependant bloqué, et le Ministre de la Santé, Elisabeth HUBERT, est remplacé lors dun remaniement ministériel. Il faudra attendre le jour de la conférence de presse annonçant la création de lAssociation Nationale de Défense des Victimes de lAmiante (ANDEVA) , le 8 février 1996, pour que ce décret soit enfin publié au Journal Officiel : " hasard du calendrier ou cadeau de baptême " sinterrogea le journal Le Monde.
Dans la conclusion de larticle du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire du 18 mars 1996, précédemment cité, les auteurs écrivent " La large dissémination de lamiante dans la population générale et son pouvoir carcinogène aujourdhui reconnu, en font un problème de santé publique qui appelle des réponses de la part des Pouvoirs Publics ".
Dans le Monde, la journaliste, Laurence FOLLEA, a ce commentaire : " les chercheurs dont les travaux sont publiés dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de la Direction Générale de la Santé interpellent rarement les autorités sanitaires de la sorte. ". Elle concluait " cette fois, lheure est grave. Quelle que soit la réaction des Pouvoirs Publics à ces nouvelles statistiques alarmantes, la publication au Journal Officiel du 8 février des décrets et arrêtés organisant le recensement des bâtiments isolés à lamiante en FRANCE et la protection des travailleurs exposés na visiblement pas suffi à convaincre les épidémiologistes que les mesures engagées étaient à la hauteur du fléau. ".
Cette remarque pourrait résumer le constant décalage entre les mesures de protection toujours insuffisantes et toujours inadaptées prises par des Pouvoirs Publics placés sous linfluence des industriels et un savoir scientifique qui depuis le début du siècle accumule les informations sur une catastrophe annoncée...
Dès le début du siècle, en effet, les compagnies dassurance refusaient dassurer les travailleurs de lamiante. En 1931, la GRANDE-BRETAGNE, édictait les premières mesures de protection des travailleurs de lamiante. En FRANCE, il faudra attendre plus de 45 ans et lannée 1977, pour voir apparaître les premières réglementations en matière de prévention. En fait les Pouvoirs Publics nauront agi, pour lessentiel, que sous la pression des associations et pour répondre à lémotion de lopinion publique touchée par le témoignage des victimes sur les conditions scandaleuses de leur contamination. Cela se produira deux fois, en 1977-1978, puis en 1996.
Entre ces deux dates, nombre de pays voisins auront complètement interdit lamiante et traité une grande partie de lamiante en place dans les bâtiments. En FRANCE, les Pouvoirs Publics, sous linfluence des industriels de lamiante organisés en groupes de pression efficaces, ne prirent jamais la décision dinterdire totalement lutilisation de lamiante, et ne concédèrent que tardivement, en 1996, la mise en place de réglementation qui simposait depuis de très nombreuses années.
Linertie des Pouvoirs Publics va de pair avec lactivité débordante des industriels de lamiante. Dans les années 1950, 1960 et 1970, ceux-ci diffusèrent massivement un matériau dont ils connaissaient parfaitement les dangers, dans tous les secteurs dactivité, en des lieux même où son emploi ne répondait à aucune nécessité. A partir de 1975, ils sopposèrent à la mobilisation importante contre les dangers de lamiante, en organisant la désinformation avec laide dun cabinet de communication. Enfin, en 1982 ils créèrent et financèrent une véritable structure de lobbying qui distilla la désinformation auprès des Pouvoirs Publics et les poussa à défendre la politique dite dusage contrôlé de lamiante, dans un contexte international où nombre de pays se dirigeaient vers linterdiction pure et simple.
2 - LANDEVA : SUR LA RECEVABILITE DE SON ACTION :
La jurisprudence reconnaît (ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 9 octobre 1984 : Ligue contre la violence routière) qu" une Association déclarée est recevable à former une action civile destinée à assurer laccomplissement et la défense de lobjet statutaire dont chacun de ses membres ou adhérents, lui a confié la charge collective, et ce, indépendamment du préjudice personnel subi par chacun deux ou du préjudice social dont la réparation incombe aux seules diligences du Ministère Public.
La conséquence nécessaire de la collation légale de la personnalité morale à une Association déclarée consiste en louverture dune action judiciaire, seule mesure de droit propre à assurer la réalisation effective des droits pour la défense collective desquels un pacte social a été spécialement conclu sur un objet spécifique déterminé et limité ".
Par arrêt du 14 janvier 1971 (" le réseau du souvenir contre Le Pen "), la Cour de Cassation a retenu la recevabilité de lintervention de lAssociation " le Réseau du Souvenir... " alors que la Loi navait pas encore habilité les Associations de résistants et de déportés à agir.
La Cour de Cassation indiquait notamment : " que la recevabilité de son intervention découlait de la spécialité du but et de lobjet de sa mission ".
Cette Jurisprudence a été confirmée par la Cour de Cassation, Chambre Criminelle, à propos de lAssociation " Comité National Français contre le Tabagisme " (Cass. Crim. 7 février 1984 n° 82-90-338 Bull. Crim. 7 février 1984 n° 82-90-338 n° 41 page 110).
Limportance et la gravité des crimes et délits révélées par la présente plainte, le caractère dintérêt public évident du but poursuivi par lAssociation requérante, rendent indispensable la reconnaissance de la recevabilité de laction entreprise par lAssociation.
4 - DEFINITION DE LAMIANTE ET PRESENTATION DES MALADIES QUIL ENGENDRE
4-1 LAMIANTE (DU GREC AMIANTOS : INCORRUPTIBLE)
Il sagit dun terme générique qui regroupe lensemble des silicates, minéraux naturels caractérisés par leur aspect fibreux.
Les principales variétés damiante sont classées en deux familles minéralogiques :
- le groupe des serpentines qui comprend essentiellement le chrysotile, réprésentant 95% de lamiante industriel,
- le groupe des amphiboles composé :
* de la crocidolite
* de lamosite
* de lanthophyllite
* de la trémolite
* de lactinolite
Lamiante a longtemps été considéré comme un objet de curiosité, de superstition plus que comme un matériau dusage pratique.
Il faut attendre la deuxième moitié du XIXème siècle pour que lon sintéresse aux applications techniques de lamiante (vers 1800 en Italie).
Cest surtout à partir des années 1870, après la découverte de gisements au Canada, que commence lexploitation industrielle et commerciale du minerai dans ce pays.
Il en sera de même en Italie, Russie, Afrique et aux U.S.A.
Les principales propriétés de lamiante sont :
- lininflammabilité,
- lincombustibilité,
- la résistivité thermique,
- la résistance aux micro organismes,
- lélasticité
(in thèse pour le doctorat en médecine : Gérard LOIE " données historiques générales sur les maladies provoquées par lamiante " Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rouen - 1984).
4-2 : LES MALADIES PROVOQUEES PAR LAMIANTE
Depuis le début de lutilisation industrielle de lamiante, il y a un siècle, on sait que linhalation de ces poussières minérales provoque des atteintes graves à la santé.
Des atteintes pulmonaires ont dabord été identifiées.
4-2.1 : La fibrose pulmonaire ou asbestose est la conséquence dinhalation très importante de poussières damiante.
La transformation fibreuse du tissu pulmonaire quelle entraine est lente.
Elle se manifeste plusieurs années après le début de lexposition mais est irréversible.
Elle conduit à une insuffisance respiratoire, invalidante, puis à une insuffisance cardiaque.
Le traitement nest que palliatif.
Cette maladie a tué des centaines douvriers dans les usines au début du siècle, à une époque où les expositions étaient massives.
La maladie était susceptible dapparaître alors en quelques mois ou en quelques années et pouvait aboutir rapidement au décès.
En France, M. AURIBAULT, Inspecteur Départemental du Travail à Caen, a réalisé, dès 1906, une étude sur " lhygiène et la sécurité des ouvriers dans les filatures damiante ", dont la publication fut assurée par le bulletin de lInspection du Travail de 1906 (pages 120 et suivantes).
Dans le vocabulaire technique et médical de lépoque, il décrit avec une grande précision le caractère pernicieux de laction de lamiante sur lorganisme des ouvriers :
" ils (les cristaux damiante) viennent éroder et déchirer le tissu pulmonaire, provoquant par leur action pernicieuse une phtisie spéciale ; leurs effets sur lorganisme humain sont bien connus des hygiénistes et ont été étudiés dans les fabriques de ciment et les chantiers de taille de pierre meulière...
Les pneumoconioses y sont entrêment développées...Cette accumulation, ce dépôt constant de poussière minérale dure, non résorbée, produit, par place, linduration du parenchyme pulmonaire ; Ces amas de particules étrangères forment des noyaux résistants, dépourvus délasticité. Il existe alors une véritable sclérose du poumon.
Lexpectoration devient abondante et la toux fréquente. Lanémie, la consomption ou larrêt du coeur peuvent amener la mort après un temps variable, suivant la résistance de lindividu atteint ".
M. AURIBAULT cite à lappui de cette description une observation précise :
" un exemple frappant vient corroborer cette déduction. En 1890, une usine de filature et de tissage damiante sétablissait dans le voisinage de Condé S/ Noireau (Calvados). Au cours des cinq premières années de marche, aucune ventilation artificielle nassurait lévacuation directe des poussières siliceuses produites par les divers métiers.
Cette inobservation totale des règles de lhygiène occasionnait de nombreux décès dans le personnel ; une cinquantaine douvriers et douvrières moururent dans lintervalle précité. Le Directeur, précédemment propriétaire dune filature de coton à Gonneville (Manche), avait recruté 17 ouvriers parmi son ancien personnel ; 16 dentre eux furent enlevés par la Chalicose de 1890 à 1895...
Les usiniers sempressèrent de porter remède à cette situation, les cardes furent ventilées par ascensum et par descensum, les effilocheuses, isolées, et la mortalité diminua considérablement ".
Si la fréquence et la gravité de lasbestose ont beaucoup diminué aujourdhui, 200 à 300 cas sont encore reconnus chaque année au titre des maladies professionnelles.
Une quarantaine de décès annuels sont enregistrés dans les statistiques de mortalité de lINSERM comme étant dus comme cause principale à lasbestose.
4-2.2 : Le cancer broncho-pulmonaire
Les premières observations permettant de suspecter le pouvoir cancérogène de lamiante date des années 1930, avec diverses publications dans les journaux médicaux (cf. en particulier GLOYNE en 1933 et 1938, HORNING en 1938, KOELSCH en 1938, LYNCH et SMITH en 1935 et 1939, NORDMANN en 1938).
Lenquête réalisée par DOLL en Angleterre en 1955 apporte la preuve épidémiologique définitive de la relation entre lexposition à lamiante et le cancer broncho-pulmonaire.
On considère aujourdhui que lexposition à lamiante peut, dans certains cas, multiplier par cinq le risque de cancer broncho-pulmonaire.
4-2-3 Les fibroses pleurales.
Elles se présentent sous forme dépaississements de la plèvre et de plaques pleurales qui sont le plus souvent bilatéraux.
La première constatation radiologique remonte à lannée 1955.
De nature bénigne, considérées par les médecins comme " un marqueur dexposition " les plaques pleurales peuvent cependant être responsables de douleurs et dun retentissement sur la fonction respiratoire.
Elles sont très courantes chez les travailleurs exposés : " la moitié des salariés dans le secteur de lisolation, le tiers dans lamiante-ciment, 15% dans le domaine de la réparation automobile etc... ".
Des pleurésies bénignes sont également observées. Leur relation avec lamiante a été établie en 1964.
4-2-4 Le mésothéliome
Le mésothéliome est un cancer primitif de la plèvre, du péritoine et du péricarde, qui est spécifique de lamiante.
La responsabilité de lamiante dans la survenue du mésothéliome est clairement établie depuis 1960 (études de WAGNER). Elle a été confirmée par de nombreux travaux.
En France, le premier cas a été décrit en 1965 par TURIAF.
Le mésothéliome est un cancer au pronostic redoutable. La maladie est très douloureuse et la survie moyenne nexcède pas deux années.
Il nexiste pas, à ce jour, de traitement efficace. On ne connaît pas de cas de guérison.
Or, selon les études, 75 à 95% des cas de mésothéliome sont rapportés à lamiante, quil sagisse dexpositions professionnelles ou dexpositions environnementales.
On a identifié, en effet, depuis les années 1960, de nombreux cas de mésothéliome et de plaques pleurales, dans la population vivant à proximité des mines ou usines damiante ou au contact des travailleurs de lamiante.
Lépidémiologie montre quil ny a pas de " dose seuil ". Lexcès de cancer apparaît pour des expositions minimes.
Le temps de latence est important, 35 ans en moyenne.
Cependant la moyenne dâge des cas relevés entre 1970 et 1980 nétait que de 60 ans.
En France, depuis 1979, le nombre de mésothéliomes pleuraux augmente de 25% tous les trois ans.
Environ 1000 décès par an sont imputables à cette pathologie spécifique dune exposition à lamiante.
Les enquêtes épidémiologiques montrent que dans les populations exposées, le nombre de cancers broncho-pulmonaires dus à lamiante est en moyenne de 1 à 2,5 fois le nombre de mésothéliomes. Cela représente actuellement, en hypothèse basse, de 1 000 à 2 500 décès annuels par cancer du poumon dû à lamiante.
4-2-5 Les autres cancers
Plusieurs études épidémiologiques indiquent que lamiante est également responsable dexcès de cancers du larynx et de cancers gastro-intestinaux (SELIKOFF 1964, MAC DONALD, NEWHOUSE, NICHOLSON).
Ces excès sont moins nets que pour les cancers du poumon et de la plèvre et sont discutés par les spécialistes.
Néanmoins, ils sont suffisamment significatifs pour que la Directive Amiante 83/477 de la Communauté Européenne indique le cancer gastro-intestinal comme maladie causée par lamiante.
4-3 : LES VICTIMES :
Depuis la fin des années 1960, il est indéniable que ce sont les pathologies cancéreuses qui représentent le risque le plus grave.
En effet, comme pour tous les cancérogènes, il est impossible de prétendre quil existe une dose limite en-dessous de laquelle le risque de cancer serait nul.
Ce constat est apparu très clairement dès les premières données épidémiologiques établies auprès des populations touchées par le mésothéliome, tumeur spécifique de lexposition à lamiante.
La première étude de WAGNER en Afrique du Sud, en 1960, relevait 18 victimes de mésothéliome parmi les mineurs damiante pour 14 victimes de la même pathologie, dans lenvironnement de la mine.
Trois ans plus tard, en 1963, à loccasion du Congrès International sur la santé en milieu de travail, le même auteur rapporte plus de 120 cas de mésothéliome collationnés depuis 1956. " Plus de la moitié de ces cas navait jamais travaillé dans lindustrie de lamiante mais avait vécu dans le voisinage des mines et moulins (damiante), ce qui révélait limportance des expositions environnementales (de voisinage) " (In Sélikoff et Lee, " Asbestos and disease, Academic Press " 1978 page 30 ).
Ces premières observations sur la relation entre type dexposition et mésothéliome expliquent quaujourdhui, à une toute autre échelle, les enquêtes révèlent des victimes dans toutes les professions, et même parmi les personnes nayant eu quune exposition denvironnement.
Environ 25% des victimes de cette pathologie relèvent des professions du bâtiment : maçons, électriciens, plombiers, chauffagistes, menuisiers, peintres, couvreurs etc...
Dans la plupart des cas, les expositions dans ce secteur sont des expositions sporadiques et brèves.
Le second grand secteur fortement représenté chez les victimes est celui des chantiers navals.
Lamiante y est largement utilisée dans divers matériaux de construction des navires.
Au-delà, les victimes relèvent dun peu tous les secteurs industriels (chimie, pétrole, métallurgie, transport etc...), y compris bien sûr le secteur de lindustrie transformatrice damiante.
Compte tenu des temps de latence très longs de ces pathologies, il est trop tôt pour savoir dans quelle proportion lutilisation massive damiante dans les années 1960 à 1970, pour les flocages des bâtiments, va induire des cas de mésothéliomes chez les simples occupants des immeubles floqués.
Le bilan ne pourra être avancé quà partir de 2010, mais dores et déjà des cas sont signalés chez de simples occupants de ces immeubles.
5 - LA DIFFUSION DES INFORMATIONS SUR LA TOXICITE DE
LAMIANTE DANS LE CHAMP SOCIAL.
Mettre en cause limportation, le travail de lamiante et la diffusion de matériaux contenant de lamiante nest possible que si les connaissances sur la toxicité ont été acquises en milieu médical et quà la condition que ces connaissances aient pu franchir les limites du domaine propre à quelques chercheurs et médecins.
Au-delà de la rapide chronologie de la découverte des méfaits de lamiante présentée ci-dessus, il est donc nécessaire de donner des éléments dappréciation non seulement sur lacquisition mais également sur la diffusion des connaissances.
Cette démarche conduit à distinguer plusieurs périodes historiques du début du siècle à nos jours, périodes qui seront successivement examinées :
- de 1900 à 1950 : un demi siècle sans réaction significative face à lasbestose,
- de 1950 à 1975 : un quart de siècle de données acquises sur les cancers provoqués par lamiante,
- de 1975 à nos jours : 20 années de dissimulation.
5-1 : de 1900 à 1950 : un demi siècle sans réaction significative face à lasbestose.
Au plan international, lessentiel des connaissances médicales sur lasbestose est acquise depuis le début du siècle à partir principalement des données anglaises, et pour la France, de la publication dAURIBAULT déjà citée.
Aussi, en 1921, lAssociation Internationale des Travailleurs porte-t-elle plainte devant le Bureau International du Travail (B.I.T.) qui vient de naître à Genève.
Elle dénonce la maladie pulmonaire qui atteint les mineurs damiante.
Après neuf ans de discussion, le B.I.T. fait inscrire les dangers de lamiante à lordre du jour de la première Conférence Internationale consacrée à la santé des mineurs.
Durant la même période, les études se multiplient, en particulier en Grande Bretagne.
La plus marquante est celle de MEREWETHER en 1930 (The Journal of Industrial Hygiene pages 198 - 222), qui montrait que 80% des ouvriers de lamiante, après vingt ans dactivité souffraient dasbestose.
La gravité de la maladie était dautant plus prononcée que le temps dexposition était plus long ou le niveau dexposition plus élevé.
Dans le prolongement de cette étude, MEREWETHER, médecin inspecteur de lindustrie, et son collègue PRICE, présentent un rapport au Parlement établissant que : " linhalation de la poussière damiante pendant plusieurs années entraîne lapparition dun sérieux type de fibrose des poumons ".
Ils indiquent le remède, en loccurence la suppression de la poussière.
De cette initiative résulteront en GRANDE BRETAGNE les premières mesures de prévention pour les travailleurs de lamiante en 1931 et, les premières mesures de réparation des pathologies dues à lamiante en 1933, mesures insuffisantes certes mais significatives dun premier enchainement positif entre les études médicales et les décisions politiques dans le champ de la santé au travail.
En FRANCE, à la même époque, le Docteur DHERS publie successivement deux longs articles (in " La Médecine du Travail " 1930 pages 147 - 172 et pages 187 - 209), intitulés " Amiante et asbestose pulmonaire ".
Tous les aspects du problème y sont largement et remarquablement traités.
Il relève que depuis la fin de lannée 1910 " les Compagnies dAssurances-vies canadiennes et américaines avaient déjà pris lhabitude de refuser les travailleurs de lamiante, par suite des conditions nocives de lindustrie pour la santé ".
La conclusion du second article du Docteur DHERS est sans équivoque. Elle est toujours valable dans la mesure où lon ne sait toujours pas soigner une asbestose : " ladoption de mesures de prophylaxie contre les risques inhérents à linhalation de poussière damiante constitue à lheure actuelle le seul mode dintervention efficace contre cette maladie ".
Suivent ensuite plusieurs pages de recommandations précises sur les mesures à prendre en milieu de travail pour supprimer les poussières, mesures dont nombre ne sont toujours pas appliquées dans certaines usines, en 1996.
Signalant, en matière réglementaire, les discussions en cours à la Chambre des Communes à Londres, le Docteur DHERS est bien embarrassé pour annoncer une quelconque initiative en France...
Le seul écho qui lui soit parvenu sur ce sujet est le suivant : " Je donne enfin, sous bénéfice dinventaire, linformation suivante parue dans le Journal of the American Medical Association du 10 Mai 1930 et daprès laquelle, en France, le Ministère du Travail et le Ministère de la Santé, émus par le nombre de cas dasbestose signalés dans certaines usines, ont ordonné quune enquête soit effectuée sur les mesures de protection qui pourraient être instituées ".
Si linformation est exacte, il faut croire que lémotion na pas été violente, puisquil faudra attendre quinze ans les premières mesures en matière de réparation et 47 ans pour que certaines mesures de prévention soient prises...
Linclusion de lasbestose, sans la nommer, dans un tableau a été réalisée par ordonnance en 1945. Ce texte reconnaissait enfin la silicose comme une maladie professionnelle. Silicose et asbestose étant deux fibroses, le législateur de lépoque navait pas cru devoir distinguer les effets de la silice libre dune part et de lamiante dautre part.
Les deux expositions étaient citées comme à lorigine de la maladie reconnue.
Il faudra attendre 1950 pour que lamiante et lasbestose apparaissent dans un tableau spécifique (n°30). La causalité était pourtant unanimement reconnue depuis 1930...
Le nombre de cas reconnus annuellement entre 1946 et 1968 na jamais dépassé une dizaine. Hier, comme aujourdhui, la grande majorité des cas nétait pas déclaré.
En conclusion, cette première période historique ne se termine que par une transposition très partielle, dans le champ réglementaire, des données médicales sur lasbestose.
Pour lessentiel, cette maladie et les malades qui en sont atteints vont rester en marge de toute polique de santé au travail.
5-2 : de 1950 à 1975 : un quart de siècle de données acquises sur les cancers dus à lamiante. De laccumulation des connaissances (1950 à 1965) à laccumulation des risques (1965 à 1975)
Les 25 à 30 années daprès guerre seront celles où tout sest écrit sur la relation amiante-cancer, du moins dans le champ qui nous occupe, celui de la relation entre exposition et survenue des pathologies tumorales.
Les premières publications sur la relation amiante-cancer broncho-pulmonaire datent, nous lavons noté, des années 1930 puis 1940.
Au début des années 1950, le milieu médical est acquis à lidée que linhalation damiante peut engendrer des cancers pulmonaires.
Lors de la séance solennelle du 10ème anniversaire de la Société de Médecine et dHygiène du Travail, un rapport sur " substances chimiques, agents de cancers professionnels " fut confié au Professeur René TRUHAUT.
Sept dérivés minéraux dont lamiante furent alors mis en accusation (in " Archives Maladies Professionnelles " 1954, PP 15, 6 431 - 468).
Dix sept références de publication sont données par lauteur... et pas une seule référence française.
Comme dans la période antérieure, il semble que les médecins et scientifiques français ne produisent alors aucun résultat original dune part parce quil sagit de sujet " à risque ", compte tenu des réactions des entreprises, et, dautre part parce que les entreprises font obstacle à toute enquête épidémiologique sur leur personnel.
Un an plus tard, en 1955, DOLL, publie en Grande Bretagne, les résultats de la première enquête épidémiologique à partir du personnel dune usine de textile damiante, enquête qui montre sans ambigüité le caractère cancérogène du matériau.
Lentreprise en cause (TURNER AND NEWALL)lun des grands de lamiante, tente alors dempêcher cette publication.
Les difficultés rencontrées par ce chercheur pour faire connaître le risque ont été divulguées il y a quelques années dans la presse britannique (THE SCOTSMAN 25 Août 1993) et dans diverses revues américaines et anglaises.
En fait, comme le révèle létude de Lilien FIELD, en 1991 (in American Journal of Public health, 80,6, 791-800) lindustrie de lamiante au niveau international avait déjà financé depuis les années 1940 des études sur lanimal montrant sans ambigüité le caractère cancérogène de lamiante.
Dès lors, la stratégie fut dimposer le silence.
La seconde vague de connaissance sur la relation amiante-cancer fut celle relative aux mésothéliomes (cancer de la plèvre, du péritoine et péricarde).
Cest en 1960 que parurent simultanément plusieurs enquêtes, dont celle de WAGNER, revélant le rôle cancérogène de lamiante pour ces organes.
Dailleurs, dès 1953, la relation avait été signalée mais cest tout au long des années 1960 que les preuves saccumulèrent.
En France, le Professeur TURIAF, membre de lAcadémie de Médecine, publie le premier cas en 1965.
La conclusion de son article (La Presse Médicale 22.09.65) mérite dêtre citée : " En France, le problème asbestose-cancer ne parait guère avoir préoccupé grand monde. La négation du pouvoir cancérigène de lamiante est une opinion fort répandue qui, pourtant ne repose pas sur des études contrôlables. Aucun grand inventaire, aucun travail densemble na été entrepris chez nous pour apporter une vraie contribution à un aspect pourtant singulier de la carcinose broncho-pulmonaire, pleurale ou péritonéale, qui parait avoir partie liée avec lasbestose.Nous avons, quant à nous, tenté douvrir une enquête clinique pour essayer de retrouver et de savoir ce quil était advenu des anciens compagnons de travail de notre malade, de nous informer sur la qualité et la provenance de lamiante quil avait manipulé. Nous navons pu aboutir. Les dirigeants de la Chambre Syndicale de lAmiante et les employeurs directs où avait travaillé ce malade pendant 40 ans nont pas estimé devoir nous recevoir ".
Dès 1965, la stratégie dobstruction des industriels est en place.
Il nest donc pas étonnant que les données françaises soient rares.
La législation française ne reconnaîtra ces deux pathologies cancéreuses dues à lamiante quà partir de 1976, et encore avec de telles restrictions quaujourdhui encore, la grande majorité des cas nest pas reconnue en maladie professionnelle.
Dès le milieu des années 1960, lunanimité des milieux médicaux est faite sur le caractère cancérogène de lamiante. Le mésothéliome est dailleurs déjà reconnu comme maladie professionnelle en GRANDE-BRETAGNE depuis 1966 ; le cancer broncho-pulmonaire (en liaison avec une asbestose) est même reconnu depuis 1942 comme maladie professionnelle en ALLEMAGNE.
Cette unanimité souffre cependant quelques exceptions chez certains médecins très liés aux industriels. Tel est le cas du Docteur CHAMPEIX, cas exemplaire de médecin sétant fait le complice du maintien de situations désastreuses dans lindustrie.
Dabord médecin du travail, puis médecin chef dune Association interprofessionnelle de médecine du travail, puis Professeur de médecine du travail à lUniversité de Clermont Ferrand, il a conservé la haute main sur la surveillance médicale du personnel de la tristement célèbre usine dAMISOL jusquà la fermeture, en 1974, de cette entreprise, transformatrice damiante.
Connaissant très bien la situation réelle au sein de cette usine il nhésite cependant pas, en 1964, à accorder un satisfécit public à lindustrie lors dun congrés médical.
Au sujet de lasbestose, il déclare : " En somme, la difficulté de poser des critères de diagnostic engage à renforcer les mesures de prévention. Il faut reconnaître dailleurs que les industriels ont compris limportance du problème et les moyens techniques mis en oeuvre ont permis de réduire considérablement la fréquence et la gravité de cette maladie professionnelle " (actes du Congrès de Caen, 1964).
Affirmant devant ce même congrès quil nest pas question de se baser sur les renseignements fournis par la radiophoto, en raison de la discrétion des images du début, il nutilise que cette technique pour le suivi médical des ouvrières et ouvriers dAMISOL...
Et, quand lun de ceux-ci dépose une demande de reconnaissance en maladie professionnelle, le directeur de lusine, M. CHUPIN, se fait appuyer par le Docteur CHAMPEIX pour contester la réalité de la maladie ou de lexposition (Cf : copie des courriers dans louvrage " Danger amiante " : MASPERO, 1977).
Laction du Docteur CHAMPEIX ne se limitait pas à Clermont Ferrand.
Il fut à cette époque un collaborateur attitré des deux Chambres Patronales de lamiante qui le nomme secrétaire général dune association créée pour la circonstance (Le COFEREBA) afin détudier les effets biologiques de lamiante.
Ses positions publiques, telles quelles apparaissent dans un article en Mai-Juin 1971 (in " Sécurité et Médecine du Travail "), visent à remettre en cause la relation amiante-cancer.
Cette pathologie nest dailleurs même pas citée dans le chapitre sur les risques professionnels. Elle nest considérée que comme une éventualité restant à prouver lors de lexamen des risques liés à lenvironnement.
Si la période 1950-1975, malgré les blocages induits par le milieu industriel et linertie des pouvoirs publics, a été celle de laffirmation des connaisssances en matière de risque de cancer, elle a été, en même temps, celle dune accumulation des risques.
En effet, ce furent les années durant lesquelles les importations damiante augmentèrent de façon considérable. Une intense campagne de promotion a alors permis de multiplier les usages de lamiante en particulier avec la technique du flocage qui date du début des années 30 mais qui ne prend son plein essort quavec le développement rapide des immeubles à charpente métallique, à partir de 1959.
Si la France importait annuellement entre 15 à 17.000 tonnes avant guerre, le chiffre est doublé en 1950 et passe à plus de 177.000 tonnes en 1974.
Depuis 1945, la France a importé 73 kilogrammes damiante par personne... et cest un matériau indestructible, qui sest donc accumulé au cours des années.
Ainsi, paradoxalement, plus les connaissances sur la novicité de lamiante saffinaient, et se répandaient, plus on importait damiante et plus on exposait des populations de plus en plus larges.
Il faut cependant noter une exception significative.
Prenant en compte les risques liés à lamiante, connus dans certains milieux du bâtiment et en particulier dans les entreprises de flocage où lun des frères avait travaillé, les frères BLANDIN, dès le début des années 1950, développent une technique de flocage de laine minérale qui remplace parfaitement les flocages damiante.
Ils prendront successivement plusieurs brevets dont " projection pyrolaine " et " procédé pistofibre ".
De 1953 à 1965 leur procédé fut employé pour environ 45% du marché, ce qui a permis, par exemple que le nombre détablissements denseignement floqués à lamiante soit beaucoup moins important en France quen Grande Bretagne.
Jusquen 1971, les écoles de type G.E.E.P. , par exemple, furent uniquement floquées à la laine minérale.
Pour clore cette période, il nous semble nécessaire de faire référence au rapport de la Commission dExpert réunie à Genève en 1973, sous lautorité du Bureau International du Travail (B.I.T.).
Ce rapport indique, en son point 8, : " linhalation de fibres damiante peut causer plusieurs types daffection :
- lasbestose : fibrose pulmonaire et affection de la plèvre qui peut présenter des calcifications,
- le cancer bronchique,
- le cancer de la plèvre (mésothéliome diffus).
Des mésothéliomes diffus peuvent aussi survenir dans le cavité abdominale (mésothéliome péritonéal).
- certaines observations indiquent que des cancers dautres parties du corps peuvent parfois être dus à lamiante ".
En son point 18, le rapport des experts affirme: " des matériaux de remplacement moins dangereux devraient être utilisés dans toute la mesure du possible ".
En son point 22, les experts recommandent, dans létat actuel des connaissances : " de considérer le niveau de 2 fibres/cm 3 adopté par certains états membres comme un objectif temporaire pour la prévention des risques pour la santé des travailleurs de lamiante. Il a été reconnu que ce niveau sapplique aux effets fibrogènes de lamiante et non à ses effets cancérogènes pour lesquels aucune valeur nexiste actuellement ".
Plusieurs pages de prescriptions très précises détaillent lensemble des mesures de prévention à envisager pour les personnes pouvant être exposées à lamiante.
Enfin, dans sa conclusion : " la réunion dexperts recommande à lOrganisation Internationale du Travail (...) dadresser ce document aux Gouvernements de ses Etats Membres et, par leur entremise, aux organisations demployeurs et de travailleurs, ainsi quà toutes autres institutions intéressées, pour information et pour action ".
Dans la dernière partie de la période, 1950-1975, aucune autorité publique ne peut donc dire quil ny avait pas eu transfert complet dinformation. Dailleurs plusieurs pays avaient dès cette époque déjà mis en place des mesures de prévention et limité les usages de lamiante.
5-3 : De 1975 à ce jour : comment sorganise le règne du silence.
Ce qui fait loriginalité de cette troisième période en son début, cest lapparition dans le champ social dune nouvelle composante, soucieuse avant tout de diffuser linformation sur les risques liés à lamiante et dinterpeller les pouvoirs publics sur la nécessité dune politique cohérente de prévention.
Cette nouvelle composante fut le " Collectif Intersyndical Sécurité du Centre Universitaire JUSSIEU " à PARIS, groupe de bâtiments, représentant 200 000 m² de locaux floqués à lamiante !
Ce collectif qui fut en général désigné comme " le collectif amiante de JUSSIEU " a été créé en 1974 à la suite de lobservation par quelques chercheurs de la pollution de leurs locaux par lamiante.
Dès le mois de janvier 1975, un premier tract avertissait le personnel du campus de lexistence du risque.
Durant le mois de mai 1975, une Assemblée Générale du personnel était convoquée, Assemblée qui fut la première dune longue série. Y participait un médecin spécialiste des pathologies dues à lamiante.
Dès ce mois de mai 1975, un premier dossier conséquent sur les risques liés à lamiante était réalisé et largement diffusé dans et hors JUSSIEU, en particulier auprès des pouvoirs publics et des entreprises transformatrices damiante.
En décembre 1975, une conférence publique fut organisée avec le premier spécialiste mondial, le Professeur SELIKOFF de NEW YORK et un certain nombre de spécialistes français, en particulier les Professeurs BIGNON et TURIAF.
La presse se fait alors, et pendant plusieurs années, largement lécho des dangers de lamiante. Le quotidien du médecin put titrer en 1976 : " AMIANTE : LE ROLE CANCEROGENE EST ADMIS PAR TOUS ".
Qui plus est, la description des conditions du travail dans lindustrie de lamiante est publiée dans la presse.
En effet, laction du collectif de JUSSIEU contribua à faire connaître la situation dans diverses usines, celle de FERODO en NORMANDIE où les ouvriers ressortaient de lusine, blancs damiante et surtout celle de lusine AMISOL de CLERMONT FERRAND.
Cette entreprise, fermée depuis 1974, était alors occupée par les ouvriers et ouvrières qui ouvrirent largement leurs portes à la Presse afin que puisse être constaté létat scandaleux des ateliers damiante.
Un livre édité par le collectif de JUSSIEU en 1977 chez MASPERO (" DANGER AMIANTE ") contribua également à une diffusion massive de linformation.
Dès 1975 - 1976, toutes les données pour construire une politique de prévention complète étaient disponibles pour tout un chacun.
Face à cette situation, la réaction des deux principaux acteurs, pouvoirs publics et industriels de lamiante, que nous examinerons à la suite, fut sans ambiguïté :
* Les pouvoirs publics concédèrent en 1977 - 1978 la mise en place dune réglementation minimale, de toute évidence insuffisante.
La protection des travailleurs mise en place correspondait à celle quil aurait fallu imposer quelques décennies auparavant pour les protéger de lasbestose, alors que le problème était devenu à lévidence celui du cancer. Quant aux risques encourus par les professions du bâtiment ou les simples occupants dimmeubles contenant de lamiante, ils nétaient pas pris en compte.
Dans les années 1980 - 1990, les pouvoirs publics se contentèrent de suivre, sans précipitation excessive, les directives européennes, du moins celles qui ne remettaient pas en cause dimportants intérêts industriels.
Lorsquune directive européenne dinterdiction de lamiante fut proposée en 1991, la FRANCE, sous linfluence des industriels, sy opposa.
Ce nest quà la suite de laction des associations ALERT, Comité anti-amiante de Jussieu, FNATH et des médias que les pouvoirs publics se décidèrent, en 1996, à réglementer de nouveau.
* Les industriels eurent une triple action :
- désinformation du grand public
- contrôle du discours scientifique et médical
- contrôle de laction des pouvoirs publics au travers
dune action de lobbying.
La désinformation fut organisée dès les années 1976 et 1977 avec la diffusion des brochures " AMIANTE, LA VERITE " et " VIVRE AVEC LAMIANTE, FIBRE DE LA TERRE ", puis dans les années 1980 - 1990 avec la diffusion des brochures du Comité Permanent Amiante.
On y retrouve toujours les mêmes arguments destinés à rassurer et à minimiser les risques, en ayant recours lorsque cela est nécessaire à des contre-vérités.
Le temps de latence des maladies est systématiquement utilisé pour mettre en doute le danger des expositions actuelles. Le doute doit profiter aux industriels...
Le contrôle du discours scientifique et médical sera plus délicat à mettre en place. Les industriels organisèrent à cette fin plusieurs colloques scientifiques avec en perspective la création dun " Comité Scientifique ". La tentative aboutit en 1982 à la suite du colloque de MONTREAL.
De là naîtra le Comité Permanent Amiante, structure qui intègrera non seulement des Experts médecins, mais aussi des représentants des pouvoirs publics et des syndicats.
Le Comité Permanent Amiante fut précisément la structure qui contrôla laction des pouvoirs publics jusquen 1995.
La période 1975 - 1995 sera notablement différente dans de nombreux pays européens. Des politiques de prévention conséquentes, notamment en ce qui concerne lamiante en place dans les bâtiments, se mirent en place. Les usages de lamiante furent progressivement limités pour arriver à une interdiction totale au début des années 1990. Sept pays européens ont actuellement totalement prohibé lamiante.
6 - CHRONOLOGIE DES TEXTES REGLEMENTAIRES SUR LAMIANTE
- Ordonnance N° 1724 du 3 août 1945
(JO du 03/08/45 et rectificatif JO du 18/08/45)
Intégration de la fibrose pulmonaire provoquée par lamiante au tableau n° 25 des maladies professionnelles.
- Décret n°50-1082 du 31 Août 1950
(JO du 02/09/50)
Création dun tableau spécifique, le tableau n°30 des maladies professionnelles.
- Décret n°51-1215 du 3 octobre 1951
(JO du 21/10/51)
Modification du tableau n° 30
- Décret n° 57-1176 du 17 Octobre 1957
(JO du 23/10/57 et rectificatif JO du 01/11/57)
Modification des modalités dapplication du Livre IV du Code de la Sécurité Sociale relatives aux affections provoquées notamment par les poussières damiante.
- Loi 75-625 du 11 juillet 1975
Interdiction doccuper les jeunes travailleurs de moins de 18 ans aux travaux de cardage, filature et tissage de lamiante et de les admettre de manière habituelle dans les locaux affectés à ces travaux (Art. R 234-20 du Code du Travail).
- Décret n° 76-34 du 5 Janvier 1976
(JO du 15/01/76)
Modification importante du tableau n° 30 qui prend désormais en compte le cancer broncho-pulmonaire et le mésothéliome considérés comme une complication de lasbestose.
- Circulaire n° 47SS du 14 janvier 1977
Relative à lapplication du décret 76-1095 du 25 novembre 1976 (modifiant le décret n° 57-1176 du 17 Octobre 1957).
- Arrêté du 29 juin 1977
Interdiction du flocage dans les locaux dhabitation.
- Arrêté du 11 Juillet 1977
(JO du 27/07/77)
Organisation dune surveillance médicale spéciale des travailleurs exposés aux poussières damiante.
- Décret n° 77-949 du 17 août 1977
(JO du 20/08/77)
Mise en application de mesures particulières dhygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à laction des poussières damiante.
- Arrêté du 25 Août 1977
(JO du 18/09/77)
Relatif au contrôle de lempoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé à laction des poussières damiante.
- Arrêté du 17 octobre 1977
(JO du 01/11/77)
Relatif au transport de lamiante (consignes de sécurité pour ce type de transport).
- Décret n° 78 du 20 Mars 1978
(JO du 23/03/78)
Relatif à lemploi des fibres damiante pour le flocage des bâtiments (interdisant lemploi des produits contenant plus de 1 % damiante).
- Arrêté du 24 Octobre 1978
(JO du 11/11/78)
Prévoit les premiers agréments dorganismes pour les prélèvements et comptages de poussières damiante.
- Arrêté du 8 Mars 1979
(JO du 21/03/79)
Fixe les instructions techniques que doivent respecter les médecins du travail assurant la surveillance médicale des salariés exposés à linhalation des poussières damiante.
- Circulaire du Ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale du 10 Février 1981.
Relative à la surveillance médicale des travailleurs exposés à lamiante.
- Circulaire DGR n° 1182-81 du 26 Août 1981
Relative à la surveillance médicale des travailleurs exposés à laction des poussières damiante.
- Arrêté du 19 Février 1985
Fixe la liste des travaux pour lesquels il ne peut être fait appel aux salariés des entreprises de travail temporaire (travaux de déflocage et démolition exposant aux poussières damiante).
- Décret n° 85-630 du 19 Juin 1985
Modification du tableau n° 30 : le délai de prise en charge des affections bénignes passe de 5 à 10 ans. Celui du mésothéliome passe de 5 à 15 ans. Le cancer du poumon est intégré au tableau.
- Décret n° 87-232 du 27 mars 1987
Modifie le décret 77-949 du 17 Août 1977.
- Décret n° 88-466 du 28 avril 1988
Relatif aux produits contenant de lamiante.
- Circulaire DRT n° 88/15 du 8 août 1988
- Arrêté du 8 octobre 1990
abrogeant et remplaçant larrêté du 19 février 1985
Interdit aux travailleurs salariés des entreprises de travail temporaire et aux salariés sous contrat à durée déterminées les travaux de déflocage et de démolition exposant aux poussières damiante.
- Décret n° 92-634 du 6 juillet 1992
(JO du 10/07/92)
Modifie le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières dhygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à laction des poussières damiante.
- Arrêté du 8 mars 1993
(JO du 18/03/93)
Modifie et complète larrêté du 25 Août 1977 (modifié) relatif au contrôle de lempoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé à laction des poussières damiante.
- Décret n° 94-645 du 26 Juillet 1994 :
(JO du 28/07/94)
Modifie le décret n° 88-466 du 28 avril 1988 relatif aux produits contenant de lamiante. Ce décret bannit lutilisation des amphiboles (actinolite, amosite, anthophyllite, crocidolite et trémolite) sur le territoire français.
- Circulaire DGS/VS3/94/N°70 du 15 Septembre 1994 :
Relative aux procédures et règles de travail à mettre en oeuvre pour procéder au déflocage, au retrait et à lélimination de lamiante ou de matériaux friables contenant de lamiante dans des bâtiments, sur des structures ou installations.
- Arrêté du 28 février 1995 :
(JO du 22/03/95)
Fixe le modèle type dattestation dexposition et les modalités dexamen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérogènes.
- Décret n° 96-97 du 07 Février 1996 :
(JO du 8/02/96)
Relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à lamiante dans les immeubles bâtis
- Décret n° 96-98 du 07 Février 1996 :
(JO du 8/02/96)
Relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à linhalation de poussières damiante.
- Arrêté du 4 avril 1996
Modifie larrêté du 8 octobre 1990 fixant la liste des travaux pour lesquels il ne peut être fait appel aux salariés sous contrat de travail à durée déterminée ou aux salariés des entreprises de travail temporaire.
- Arrêté du 14 Mai 1996 :
(JO du 23/05/1996)
Relatif aux modalités du contrôle de lempoussièrement dans les établissements dont les travailleurs sont exposés à linhalation des poussières damiante.
- Arrêté du 14 Mai 1996 :
(JO du 23/05/1996)
Relatif aux règles techniques que doivent respecter les entreprises effectuant des activités de confinement et de retrait de lamiante.
- Décret n° 96-445 du 22 mai 1996
(JO du 25/05/1996)
Modifie et complète les tableaux des maladies professionnelles annexés au Livre IV du Code de Sécurité Sociale (pour lamiante : tableau 30 et 30 bis)
- Décret n° 96-446 du 22 mai 1996
(JO du 25/05/1996)
Relatif aux maladies professionnelles et modifiant le Code de la Sécurité Sociale.
- Loi du 28 Mai 1996 :
Possibilité pour lInspection du Travail de prendre toutes mesures, y compris larrêt temporaire du chantier en cas dabsence de dispositif de protection dans le cadre du retrait de lamiante (article L.231-12 du Code du Travail).
7 : LA RESPONSABILITE DES INDUSTRIELS, DE LEURS COMPLICES
ET DES RESPONSABLES PUBLICS CHARGES DE LA PREVENTION :
En ce qui concerne lasbestose, il est clair que les données médicales disponibles depuis le début du siècle et plus encore depuis les années 1930 auraient dû conduire, dès cette époque, à de sévères mesures de prévention.
Aucune décision ne fut prise en FRANCE avant lannée 1977 et encore fut-ce seulement en réponse à la campagne initiée par le collectif JUSSIEU.
Il semble que le corps médical, pourtant témoin des effets de lamiante sur la santé ne se soit guère ému de labsence de toute prévention de lasbestose.
En ce qui concerne le pouvoir cancérogène de lamiante, responsable des effets les plus graves, les données disponibles au plus tard en 1965 auraient dû précipiter la prise de décision dans le cadre dune politique de prévention.
Rien ne fut entrepris.
Comme lécrivit, en 1965, le Professeur TURIAF : " En FRANCE, le problème asbestose - cancer ne paraît pas avoir préoccupé grand monde ".
Pourtant après lannée 1975, la presse consacra jusquà 150 articles par mois au problème de lamiante. Aussi convient-il de sintéresser essentiellement, au plan de la recherche des responsabilités, à ce quentreprirent après 1975 :
- les Chambres Syndicales de lamiante, lAssociation Française de lAmiante et de certains de leurs membres,
- le Comité Permanent Amiante,
- les Pouvoirs Publics et les diverses autorités chargées de la veille sanitaire.
7-1 : LES PRINCIPAUX SITES DE TRANSFORMATIONS DAMIANTE EN
1995 (AFA FEVRIER 1995)
ALLIED SIGNAL MF ETERNIT SA
Z.I. - B.P. 83 Route de Tersac
14110 CONDE S/ NOIREAU 81150 MARSSAC S/ TARN
ETERNIT SA ETERNIT SA
B.P. 6 B.P. 1
59224 THIANT 78520 VERNOUILLET
ETERNIT SA PONT A MOUSSON
Vitry en Charolais B.P. 41
71600 PARAY LE MONIAL 26140 ST RAMBERT DALBON
ETERNIT SA ETS EVERSTOP
B.P. 1 B.P. 9
35760 SAINT GREGOIRE 76133 EPOUVILLE
EVERITE SA FILATURE DE LA VERE
BP 209 B.P. 3
37160 DESCARTES 61430 ATHIS DE LORNE
FERLAM FLERTEX
B.P. 1 B.P. 54
61430 ATHIS DE LORNE 89600 SAINT FLORENTIN
FERODO ABEX FREIX SA
B.P. 133 5 Rue Alexandre Genet
60400 NOYON 28700 AUNEAU
FREIX SA PORTERET BEAULIEU
Route Courcemont INDUSTRIE
72110 BONNETABLE Bésouotte
21310 MIREBEAU S/ BEZ
ETS PATOURET DUBOIS SOFAJOINT
Route de Méluzier 3 Rue de Seine
89200 AVALLON 91170 VIRY CHATILLON
SALLENS INDUSTRIES SCREG ROUTES
B.P. 1 - Reynie B.P. 100
82370 LABASTIDE SAINT PIERRE 78025 ST QUENTIN EN
YVELINES
SILITEX
B.P. 36 - 76133 EPOUVILLE
(Joint, textile, carton
haute température)
7-2 : LACTION PUBLIQUE DES CHAMBRES PATRONALES ET DE
LASSOCIATION FRANCAISE DE LAMIANTE.
A la diffusion des informations sur les dangers de lamiante, la Chambre Syndicale de lAmiante dont le siège est à 75008 PARIS 10 Rue de la Pépinière et le Syndicat de lAmiante-Ciment ripostèrent dès 1976 et au début de lannée 1977 par des communiqués et par lédition dun livre et dune brochure (" AMIANTE, LA VERITE ", " VIVRE AVEC LAMIANTE , FIBRE DE LA TERRE ").
Dans la brochure " VIVRE AVEC LAMIANTE... ", laspect naturel du matériau est exploité à des fins commerciales.
A la question " lamiante est-il dangereux ? ", la brochure répond : " non, lamiante nest pas un poison ".
Cette affirmation est mensongère puisqualors plus personne nignorait que lamiante était un cancérogène faisant de plus en plus de morts dans le secteur industriel.
La négation du qualificatif de poison est bien sûr atténuée par la suite du texte :
" Seules ses poussières peuvent être dangereuses "...
Il sagit dun début de vérité, aussitôt atténuée par linjonction : " il faut garder à lesprit quil ny a pas de communes mesures entre la quantité de poussière qui peut exister à léchelle industrielle (contre lesquelles lhomme a appris à lutter) et celle qui peut éventuellement se dégager dans une maison ".
De fait, les auteurs paraissent hésiter entre deux lignes de défense :
- la négation pure et simple : " lamiante nest pas un poison ",
- la reconnaissance que lamiante est un poison mais en ajoutant " cest la dose qui fait le poison " et lamiante que vous inhalez, même en milieu industriel, ne lest quà faibles doses. En conséquence les effets nuisibles pourraient être facilement évités.
Si la première ligne de défense repose sur une contre-vérité évidente à cette époque (fin 1976), la seconde nest pas plus recevable si on veut bien se rappeler que dès 1960, il était connu que les victimes de mésothéliome apparaissaient aussi bien pour de fortes expositions que pour de faibles expositions (environnement de proximité). Ainsi dans létude de référence de WAGNER de 1963, plus de la moitié des victimes de mésothéliome nont eu quune exposition environnementale.
Sil est vrai que dès 1930, il est connu que lasbestose est une maladie dose - dépendante classique, que lon ne verra pas se manifester nettement pour de faibles expositions, il nen est plus de même avec les cancers.
Chacun, dès cette époque, en est bien persuadé dans les milieux scientifiques et médicaux. Toute exposition à un cancérogène entraîne un risque. Le cancer nest pas une maladie dose - dépendante classique dont le degré de gravité est fonction de la dose.
Dans la brochure " VIVRE AVEC LAMIANTE... ", le cancer broncho-pulmonaire nest présenté que comme " une complication possible de lasbestose " et non comme une maladie indépendante, de mécanisme différent. En dépit des données de lépidémiologie, il est affirmé que " le nombre de cancers bronchiques chez lensemble des ouvriers de lamiante ne semble pas plus élevé que le nombre de cancers bronchiques dans la population générale du même âge ".
Quant au mésothéliome, il est défini comme une forme très rare de cancer, sans préciser " très rare dans les populations non exposées à lamiante ". Qui plus est, sans preuve, le mésothéliome est présenté comme non exclusivement lié à lamiante.
Largumentation dans les livres, brochures, communiqués qui vont suivre ne changera guère dans les mois et années suivantes.
Dans louvrage " LAMIANTE, LA VERITE " (diffusé au début de lannée 1977), il faut cependant noter une affirmation mensongère supplémentaire : " lamiante nest pas un cancérogène direct du poumon ".
Or, depuis plusieurs années, et en particulier depuis 1974, les données obtenues en expérimentation animale avaient permis de confirmer totalement les données humaines. Lamiante est bien un cancérogène direct du poumon, en ce sens que son action cancérogène nimplique pas lapport obligatoire dune autre substance cancérogène.
La ligne de conduite étant fixée sur le fond, quels furent les modes dintervention que vont choisir les Chambres Patronales pour la faire triompher et maintenir un large usage de lamiante ?
- Tout dabord dénoncer ceux qui se sont fait prendre et ont ainsi illustré les scandaleuses conditions de travail dans lindustrie transformatrice damiante. La Société AMISOL est répudiée par de grands placards publicitaires dans toute la presse (novembre 1976) !
- Puis reconnaître quil existe des maladies professionnelles dues à lamiante mais que les mesures de protection prises permettront de les faire disparaître dans le futur.
- Enfin dénoncer la mauvaise utilisation " du flocage damiante ".
Ces sacrifices étant consentis, et du lest ayant donc été lâché, les Chambres Syndicales relancent alors la vieille stratégie dun comité scientifique qui pourra servir de caution à leurs objectifs commerciaux sinon mercantiles.
Le Professeur CHAMPEIX, gravement compromis dans laffaire AMISOL est abandonné... Aussi un appel doffre est-il lancé pour " créer et soutenir, avec les moyens utiles, un comité scientifique ouvert à tous les scientifiques compétents afin (...) de définir les conditions dans lesquelles lamiante ne fait courir aucun risque pour la santé ".
Le livre, " AMIANTE, LA VERITE ", qui publie cette proposition dénonce en même temps les avis " alarmants " des Professeurs SELIKOFF et BIGNON.
Ce dernier ripostera par une lettre adressée à Monsieur Raymond BARRE. La création dun comité devra alors être remis à plus tard, malgré la réunion à grands frais dun colloque international à BEAUBOURG, le 6 mai 1977.
Prête en particulier la main à ce " colloque pour la création et le soutien dun comité scientifique ", le Professeur E. FOURNIER, Président de la Commission des Maladies Professionnelles...
Dès cette époque les Chambres Patronales ont confié la responsabilité de leur communication à un cabinet de relations publiques (C.E.S. - 10 Avenue de Messine 75008 PARIS) dirigé par Monsieur VALTAT.
En 1981, un changement intervient au niveau de la communication. Les Chambres Syndicales seffacent derrière un nouveau né, lAssociation Française de lAmiante (A.F.A.), elle-même très probablement membre dès cette époque de lAssociation Internationale de lAmiante (A.I.A.).
Cest le cabinet C.E.S. qui organisera létape importante suivante dans la stratégie de communication de lA.F.A. soit un congrès international auquel participèrent 700 personnes à MONTREAL durant le mois de mai 1982. Les invitations furent lancées, tous frais payés, en direction des syndicalistes, journalistes, personnalités scientifiques et responsables ministériels.
Dans le prolongement du congrès de MONTREAL deux réunions seront organisées par lAFA :
- Lune le 20 septembre 1982 : elle réunit des responsables ministériels et syndicaux, ainsi que trois personnalités du monde médical et scientifique.
- Lautre le 9 novembre 1982, journée détude destinée à sceller un certain type dalliance et de compromis entre les dirigeants de lindustrie de lamiante, les Ministères, quelques syndicalistes et quelques médecins et scientifiques.
Le coup denvoi à la création du " Comité Permanent de lAmiante " (C.P.A.) était donné.
Suivent douze années durant lesquelles lAFA va seffacer derrière le CPA, promu structure de référence sur le problème de lamiante...
7-3 : Le rôle du Comité Permanent de lAmiante (C.P.A.)
7-3.1 : Quest-ce que le Comité Permanent Amiante ?
Dans son " Livre Blanc " : " lusage contrôlé " de lamiante, utopie ou réalité ", le C.P.A se définit ainsi.:
" Le C.P.A. nest pas une organisation au sens juridique du terme (...) il na pas de statuts ni de règlement intérieur (...) il na pas de siège social ".
Selon une formule dont la paternité est attribuée à Monsieur Dominique MOYEN, Directeur Général de lI.N.R.S., le C.P.A. est " un lieu vide, un lieu commun, à la disposition de tous, où lon pourrait se retrouver pour échanger des idées sur les ordres de priorité, avoir une vue critique sur ce qui se passe, essayer déchanger des idées sur les vérifications des mesures, provoquer des échanges contradictoires ".
Plus loin on peut lire :
" Ainsi naquit le C.P.A. essentiellement composé de bonnes volontés ".
Le but affiché est " lamélioration des conditions de travail et spécifiquement des conditions dempoussièrement " qui, ajoute le C.P.A. " a fait lobjet de longues séances de concertation basées sur le principe de lusage contrôlé de lamiante ".
Ainsi apparaît dentrée, mais en filigrane, le véritable but du C.P.A. : promouvoir " lusage contrôlé de lamiante " ce qui, dans le contexte de lépoque (1982), signifiait éviter linterdiction de lamiante vers laquelle se dirigeaient déjà plusieurs pays européens. On sait que, depuis, sept pays européens ont totalement interdit lusage de lamiante.
Quant à laction visant à " lamélioration des conditions du travail ", elle ne sest guère traduite au niveau des travailleurs concernés. Il faut dire que le CPA, préférait louer les actions de lindustrie, quil décrit comme ayant montré la " capacité, non seulement à respecter les normes réglementaires, mais plus encore à proposer de les abaisser " (Livre Blanc, page 13).
La réalité ne confirme pas limage dun organisme composé dExperts et de personnes de bonne volonté.
En fait le C.P.A. est le " Comité Scientifique " que la Chambre Syndicale de lAmiante puis lAFA cherchaient depuis plusieurs années à créer.
La S.A. COMMUNICATIONS ECONOMIQUES ET SOCIALES (C.E.S.) créée en 1966 est, sans discussion possible, une entreprise de lobbying, elle est dailleurs devenue membre de lAssociation Française des Conseils en Lobbying (A.F.C.L.).
Cette Association professionnelle fondée en 1991 regroupe les principaux cabinets conseils professionnels exerçant cette activité en FRANCE depuis au moins deux années.
LEntreprise C.E.S. aux termes de ses statuts a eu pour objet dès 1967 " lexercice, directement ou indirectement en FRANCE ou à létranger, de toute activité concernant les communications sociales ou économiques et comportant, notamment, lexécution de tous travaux dédition et dimprimerie pour le compte des tiers "...
Dans la plaquette de présentation de lAssociation des Conseils en Lobbying, le lobbyiste est présenté comme un professionnel au service des entreprises et des collectivités. Il intervient " pour traduire le discours technique de lentreprise ou du secteur dactivité dans un langage qui tient compte des préoccupations des pouvoirs publics et de lintérêt général ".
Pour y parvenir, le lobbyiste met en oeuvre une " méthodologie scientifique ".
" Il procède à lanalyse du contexte politique, économique, juridique et social dans lequel sinscrivent les intérêts de son client. A partir de linstruction du dossier il préconise une stratégie de relation avec les pouvoirs publics et les autres pouvoirs (médias, milieux scientifiques, organisations communautaires et internationales ).
Il identifie les " publics cibles " et assure la liaison permanente et linformation entre son client et les représentants de ces pouvoirs... ".
La conclusion de lAssociation Française des Conseils en Lobbying est très inquiétante :
" Le lobbyiste est un professionnel au service des entreprises et des collectivités. Son action vise à expliquer et faire valoir les intérêts particuliers susceptibles dêtre lésés par une priorité accordée, sans nuance, à lintérêt général... " (SIC).
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Dans la même plaquette (page 19), les principales Sociétés de lobbying se présentent. Monsieur Jean-Pierre HULOT, lactuel Président Directeur Général de C.E.S., décrit son entreprise. Il cite comme étant ses premiers clients :
- lA.F.A. (Association Française de lAmiante),
- lA.I.A. (Association Internationale de lAmiante).
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Il est donc clair que la Société COMMUNICATIONS ECONOMIQUES ET SOCIALES, entreprise de lobbying dont les principaux clients sont les industriels de lamiante, a mis en place et orchestré lactivité du C.P.A. durant plus de dix ans afin (pour reprendre la formule de lA.F.C.L.) de faire valoir des intérêts particuliers susceptibles dêtre lésés (ceux des industriels de lamiante) par une priorité accordée sans nuance à lintérêt général (la santé des citoyens).
7-3-2 Les actions du C.P.A.
Le C.P.A. se présente donc comme un Comité dExperts, dindustriels, de Responsables des pouvoirs publics et de partenaires sociaux qui débattent " raisonnablement " dans lintérêt de la collectivité. Intérêt doit être compris dans un sens économique plus que dans un sens de santé publique.
Pour promouvoir l" usage contrôlé de lamiante " le C.P.A. a multiplié les actions.
1 ð En direction du grand public : il sagit de rassurer et de désinformer une population de plus en plus inquiète des dangers de lamiante.
2 ð En direction de la communauté médicale et scientifique : il sagit den contrôler le discours et, autant que possible, de tenir le monopole de lexpertise scientifique sur lamiante.
3 ð en direction des pouvoirs publics : il sagit dinfluencer les autorités et déviter lélaboration dune législation trop contraignante pour les industriels et surtout linterdiction de lamiante.
7-3-2-1 Communication vers le grand public : RASSURER et
DESINFORMER
Le C.P.A. diffuse largement les brochures élaborées par ses membres, ceux-ci sexpriment également par tous les moyens des médias, organisent des conférences de presse, etc...
Dans une brochure intitulée " LAMIANTE ET LA SANTE, CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR ET FAIRE SAVOIR " on peut lire page 9 :
" Lamiante est dangereux pour la santé. Il doit être utilisé correctement. Ceci ne doit pas nous effrayer car dans notre vie nous sommes chaque jour au contact de matériaux ou déléments dangereux, mais doit nous inciter à être très vigilants.
Selon quils sont bien ou mal utilisés, ces matériaux et ces éléments peuvent être relativement sûrs et utiles ou au contraire dangereux et inadaptés.
Ne pensez-vous pas que leau, le feu, lélectricité, les automobiles, les machines... peuvent être selon quon les maîtrise ou non les choses les meilleures ou les plus dangereuses ?
Rappelons que nous avons appris à manipuler en sécurité les explosifs et les matériaux radioactifs ".
Certes, le C.P.A. ne prétend plus que " lamiante a plus que des applications industrielles, il vous rend des services chez vous " comme dans la brochure " VIVRE AVEC LAMIANTE ". (éditée par C.E.S. en 1976).
Il reconnaît même que " linhalation de poussières damiante peut provoquer lapparition de quatre maladies chez lhomme : lasbestose, les lésions pleurales, le cancer du poumon et le mésothéliome ".
Mais il évite soigneusement de chiffrer les dégâts causés par lamiante, et le seul chiffre quil donne est faux ; ainsi on peut lire dans l" AMIANTE ET LA SANTE " (1994) que :
" Le mésothéliome est un cancer rare, moins de 200 cas par an en FRANCE ".
Il faut noter quen 1994, les statistiques disponibles de lINSERM (plusieurs Experts du C.P.A. sont chercheurs à lINSERM) indiquaient, pour lannée 1992, un chiffre de 845 décès par mésothéliome et cancer primitif de la plèvre.
LE C.P.A essaie de faire croire que la population ne court aucun danger, que seuls les professionnels de lamiante sont exposés mais que ce risque est aujourdhui " bien maîtrisé ".
Lorsquen 1994, les feux de lactualité éclairent à nouveau la question de lamiante et surtout le problème des bâtiments floqués, le C.P.A organise le 7 novembre une conférence de presse intitulée :
" Faut-il avoir peur de lamiante ? ".
Le but de cette conférence dont les orateurs sont Messieurs BIGNON, BROCHARD, LAFOREST et BARREGE est clairement de sopposer à la mobilisation contre lamiante qui débute alors. Le propos est assez bien résumé par le journal " Libération " qui en rend compte sous le titre " Lamiante nest pas toujours dangereux, affirment les médecins et industriels ".
Le C.P.A. reconnaît, à cette occasion, que :
" Le personnel dentretien des bâtiments comportant des flocages à lamiante peut être soumis à des expositions significatives compatibles avec lémergence de pathologies spécifiques ".
Mais insiste sur le fait que :
" sous langle du risque pour la santé des occupants il ny a aucune raison de retirer arbitrairement les flocages à base damiante des bâtiments correctement entretenus ".
Réapparaît ainsi lidée que seules les expositions professionnelles peuvent engendrer des pathologies : on remarquera que le secteur professionnel est singulièrement élargi : il comprend donc tous les ouvriers du bâtiment et de la maintenance !
Le C.P.A ne précise pas bien sûr ce que signifie " entretenir correctement un flocage ".
Le C.P.A entretient systématiquement le doute auprès du grand public et des pouvoirs publics.
Ainsi la question des bâtiments floqués nest abordée le plus souvent que sous langle du danger des déflocages mal faits. Ainsi lors de la conférence du 7 novembre 1994, le docteur BROCHARD insista sur le fait que " dans certains cas, retirer le flocage est plus risqué que de le laisser ". (LE MONDE, 7 décembre 1994).
Même stratégie du doute concernant les produits de substitution :
" les mêmes précautions de mise en oeuvre doivent être maintenues pour ces produits de remplacement comme pour ceux à base damiante ".
Ces produits seraient-ils aussi dangereux que lamiante ? Tel est probablement le cas des fibres céramiques, mais sûrement pas par exemple des fibres végétales utilisées comme produit de remplacement dans lapplication la plus importante : lamiante-ciment.
7-3-2-2 Le discours scientifique du C.P.A.
Le discours scientifique du C.P.A. ne cherche pas à nier que lamiante est cancérigène mais sapplique à minimiser lampleur des dégâts et à en rejeter la responsabilité sur le manque de précaution dans le passé.
Un des arguments le plus récurrent repose sur les temps de latence :
" Ce long délai explique que les maladies constatées aujourdhui proviennent dune exposition ancienne, à une époque où les maladies dues à lamiante étaient mal connues. Il faudra malheureusement attendre quelques années pour apprécier progressivement les effets des mesures de sécurité qui sont en vigueur actuellement ".
Les cancers causés par lamiante mettent, en effet, 30 à 40 ans pour se développer, cet argument pourrait permettre de vendre impunément de lamiante pendant un certain temps. Notons aussi que les mesures de sécurité prévues par le décret de 1977 étaient, en 1994, à peu près appliquées dans lindustrie transformatrice de lamiante, mais beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre pour la majeure partie des ouvriers exposés, ceux du bâtiment.
Un deuxième argument tente descamoter lexistence des cancers du poumon en insistant sur le fait que " le tabac est un facteur aggravant de ce risque " puis en insinuant que " laugmentation du risque a surtout été démontrée lorsquil existe une fibrose associée ".
Comme le C.P.A. laisse par ailleurs entendre que le risque de fibrose est " bien maîtrisé " et quasiment nul aux doses autorisées actuellement, il incite le lecteur à conclure quil en est de même pour le cancer du poumon.
On a vu que le C.P.A. sest permis de tricher avec les données scientifiques de mortalité par mésothéliome. Il reconnaît que :
" Environ 70 % des cas de mésothéliome ont atteint des personnes ayant été exposées aux poussières damiante ".
...mais oublie de préciser que lamiante est le seul facteur étiologique connu du mésothéliome ; ce qui est suggéré encore une fois est que seules les personnes exposées professionnellement risquent de développer un mésothéliome
Le C.P.A. est parvenu jusquà environ 1994, à exercer un monopole dexpertise sur lamiante qui lui a été très utile pour influencer les pouvoirs publics.
Dans son " Livre Blanc " il résume sa position en estimant que :
" Si dans le passé les activités de transformation des matériaux ont engendré des risques importants, lamélioration des conditions de travail conduit aujourdhui à une solution socialement acceptable ".
7-3-3-3 Laction en direction des pouvoirs publics
On peut mesurer linfluence du C.P.A. en comparant les mesures et législation adoptées dans divers pays européens de 1982, date de la création du C.P.A., à 1994, date où il connaît un relatif discrédit (durant 1995 notamment les représentants de lEtat puis ceux de la C.G.T. cessèrent de collaborer avec le C.P.A.).
Alors que la gestion du problème des bâtiments floqués était fortement influencée en FRANCE par le C.P.A. - à loccasion de sa conférence de Presse du 7 novembre 1994, le même C.P.A. se félicite de ce que " la circulaire publiée par le Ministère de la Santé le 15 septembre 1994 reprenne en substance la méthodologie de sa brochure déjà publiée sous légide de plusieurs ministères. ". Alors quà la même époque, plusieurs pays voisins choisissaient dinterdire lamiante et de développer une politique cohérente de décontamination des bâtiments, rien ne fut réalisé en FRANCE entre 1982 et 1994.
Mais la plus grande réussite politique du C.P.A. est, selon " son Livre Blanc ", davoir bloqué une directive européenne élaborée dès 1990 et proposant linterdiction de lamiante.
A la page 25, de son " Livre Blanc ", le C.P.A. décrit très minutieusement lensemble de ses interventions auprès des instances européennes afin que la Commission abandonne le principe dabolition obligatoire tout en laissant les pays qui le souhaitent interdire lusage de lamiante sur leur territoire.
Le C.P.A. nhésite pas à avancer des arguments (page 46) comme :
" Le projet dinterdiction est un projet dangereux pour la santé des travailleurs en ce quil ne règle en rien les séquelles du passé et risque dentraîner un abandon des dispositifs de protection pendant la période intermédiaire ".
Le C.P.A. insiste sur les conséquences sur lemploi :
" Le projet dinterdiction est un mauvais projet en ce quil sera générateur de chômage ".
Le C.P.A. affirme sa volonté (page 27 du Livre Blanc) " de préserver une expérience sans précédent, de sauvegarder à la fois la santé publique et des milliers demplois précieux... ".
Le C.P.A. tente ainsi de présenter la position française comme exemplaire pour la Communauté Internationale.
Il nest cependant pas inutile dattirer lattention sur lextrême lucidité des membres du C.P.A. qui écrivaient (" Livre Blanc " page 28) " finalement ce qua permis le C.P.A. cest de faire de la FRANCE, le seul pays au monde qui ait pu conserver une activité industrielle performante en préservant lhomme, la nature et la société des risques associés à lusage dun produit dangereux mais utile.
Cet acquis, aussi positif quil puisse paraître, ne doit pas laisser méconnaître que certains domaines importants restent encore mal connus.
Cest le cas en particulier des utilisateurs anciens et actuels de matériaux contenant de lamiante pour lesquels on ne dispose pas dévaluation précise des expositions alors que certaines données montrent que le risque a été réel et quil peut persister... ".
Dès lors, cest bien délibérément que le C.P.A. a mené cette politique de désinformation en sachant que " certains domaines particulièrement important " comme " le cas des utilisateurs anciens et actuels " de matériaux contenant de lamiante étaient encore mal connus...
Il a pu le faire grâce au concours dExperts Médecins et de membres de lINRS, qui ont participé à ses activités et apporté leur caution.
7-4. LACTION PUBLIQUE DETERNIT, DU SIFF ET DE LAFA DE
1994 à 1996
Au terme de la mobilisation contre lamiante qui débuta durant lautomne 1994, le Comité Permanent Amiante connaît un relatif discrédit. Les industriels transformateurs damiante prennent alors le relais et organisent eux-mêmes leur communication :
En juin 1995, lAssociation Française de lAmiante (AFA) publie un communiqué de presse et le " Mémorandum de lAFA ".
Durant le mois doctobre 1995, le Syndicat des Industries Françaises de Fibres-Ciment (SIFF), publie une brochure : " AMIANTE-CIMENT ET AMIANTE ".
Entre mai 1995 et décembre 1995, ETERNIT publie de nombreuses lettres, articles ou brochures dont " LA VERITE SUR LAMIANTE " (mai 1995), et " AMIANTE, LA VERITE " (octobre 1995).
Les industriels entendent répliquer à la presse qui dénonce les dangers de lamiante et à limminence dune législation plus restrictive, quils ne pourront éviter.
La Société ETERNIT, écrit ainsi, le 6 octobre à ses " partenaires de la construction " :
" Vous avez sans doute été interpellé par la campagne " anti-amiante " qui se développe actuellement en FRANCE et qui est orchestrée par les différentes organisations dont le but avoué est dobtenir linterdiction de lamiante ".
Evoquant " les pays qui ont adopté des politiques plus restrictives " lAFA écrit que :
" Leur décision est respectable, mais ne peut pas servir dexemple systématique pour justifier une généralisation de ces politiques " (13 juin 1995)
Le but des industriels est clairement de continuer à vendre de lamiante. Pour justifier le maintien de lusage de ce produit cancérigène en FRANCE, ils utilisent une triple ligne de défense, basée sur autant de contre-vérités :
. Innocenter le chrysotile, en prétendant que les dangers associés à lamiante proviennent en fait essentiellement de lutilisation damphiboles.
. Minimiser les risques liés à lamiante-ciment, qui représente actuellement 95 % de lamiante utilisé en FRANCE.
. Jeter la suspicion sur les produits de substitution.
7-4.1. La distinction entre les différentes variétés
damiante et loccultation des risques liés au
chrysotile :
ETERNIT (mai 1995) ne peut faire autrement que reconnaître que " lamiante inhalé peut engendrer des pathologies ". On le sait depuis le début du siècle !
Mais, maintenant que les amphiboles sont interdits, il lui semble opportun dopérer une distinction entre cette variété damiante et celle qui est dorénavant la seule autorisée en FRANCE, le chrysotile (amiante blanc). Le chrysotile serait presque inoffensif comparé aux amphiboles, qui représenteraient lessentiel du risque.
Après avoir défendu " lusage contrôlé " de lamiante jusquà linterdiction des amphiboles, les industriels défendent dorénavant " lusage contrôlé de lamiante chrysotile " (AFA, juin 1995 et ETERNIT, juillet 1995).
Largument utilisé est particulièrement spécieux :
" Dans la famille des amphiboles la variété crocidolite (amphiboles) est clairement associée à toutes les pathologies observées et elle est plus clairement encore associée au mésothéliome pleural (...). A linverse du crocidolite, la variété chrysotile est chimiquement dégradée assez rapidement dans le tissu pulmonaire (...). Dans ces conditions, certains affirment même que le risque de mésothéliome directement associé au chrysotile serait pratiquement nul ".
Sil est vrai que le chrysotile est moins inducteur de mésothéliomes que les amphiboles, il nen nest pas moins certain que cest un cancérogène bien connu et que lon ne peut prétendre que le chrysotile nest pas " associé à toutes les pathologies observées " (liées à lamiante).
Pour les pathologies autres que le mésothéliome (cancer du poumon, asbestose et plaques pleurales), on ne peut faire de différence certaine entre chrysotile et amphiboles.
7-4.2. La minimisation des risques liés à lutilisation de
lamiante-ciment
La Société ETERNIT, sous le titre " Les produits en amiante-ciment présentent un danger lié à lamiante : FAUX ", développe lidée que :
" Les fibres de chrysotile sont complètement emprisonnées dans la matrice cémentaire qui empêche la diffusion de fibres de chrysotile dans latmosphère ".
Or, il ne faut pas arrêter la lecture à ce point, car lon pourrait croire que lamiante-ciment est inoffensif. ETERNIT atténue, en effet, la portée de ce propos en reconnaissant que :
" Les produits en amiante-ciment nécessitent des précautions. Lors de la mise en oeuvre, il convient déviter au maximum les dégagements de poussières lors des opérations de découpe des matériaux en amiante-ciment. Si nécessaire, Il convient de porter un masque de protection respiratoire ".
Le chrysotile nest donc pas aussi inoffensif que le laisse penser le titre du paragraphe !
Si on peut espérer que les salariés dETERNIT sont informés des dangers de lamiante, il est moins sûr que linformation parvienne aux travailleurs du bâtiment. Quant aux bricoleurs, connaissent-ils et appliquent-ils les précautions à prendre quand ils coupent, percent ou poncent les matériaux en amiante-ciment ?
Nest-il pas au minimum très imprudent daffirmer, comme le fait lAFA (juin 1995) que :
" Pour ce qui concerne les produits finis, à base damiante, qui continuent à être manufacturés et utilisés, il faut demblée souligner quils ne peuvent contenir que la variété damiante de type chrysotile (amiante blanc) dont les risques sont aujourdhui bien maîtrisés ". ?
7-4.3. La suspicion jetée sur les produits de substitution
" Il nest pas établi que le passage au " sans amiante " soit une solution meilleure que lusage contrôlé du chrysotile " (ETERNIT, juillet 1995).
ETERNIT insiste sur les risques liés aux produits connus de substitution à lamiante :
" Les fibres de substitution sont-elles sans risque ? ".
Telle est la question que se pose ETERNIT, pour souligner :
" Quun certain nombre de fibres utilisées pour substituer lamiante sont aujourdhui suspectées dêtre également cancérigènes " (mai 1995).
Pour ETERNIT, il semble, en définitive, préférable dutiliser lamiante, dont on est sûr que cest un cancérogène, plutôt que des produits de substitution pour lesquels il y a doute...
Certes, il est judicieux de mettre en garde contre les risques que font courir dautres fibres que lamiante, comme par exemple la fibre céramique. Mais encore faudrait-il rappeler que ce ne sont pas les fibres qui sont utilisées comme substitut à lamiante dans le fibro-ciment. On utilise pour cela des fibres végétales (notamment la cellulose) qui ne présentent pas de risques importants !
7-5. : LA RESPONSABILITE DES AUTORITES PUBLIQUES CHARGEES DE
LA PREVENTION.
Le bilan des décisions réglementaires prises en matière de prévention face au risque amiante est aisé à dresser avant 1977, puisquaucun texte ne parut avant une série de sept décrets et arrêtés entre le 19 juin 1977 et le 24 octobre 1978, publiés en réponse à la campagne dinformation et aux articles parus dans la presse depuis deux ans.
Ainsi 3 ans et demi se seront-ils écoulés entre la parution du texte du BIT qui représentait une incitation très forte à la prévention et la mise en application des premiers textes réglementaires en FRANCE.
Fortement interpellés par la presse et par les partenaires sociaux, les Pouvoirs Publics sont alors contraints de saisir divers organismes, en particulier le Conseil Supérieur dHygiène Publique de FRANCE.
Ce dernier, qui joue un rôle consultatif auprès de la Direction Générale de la Santé (Ministère de la Santé), a entendu, dans sa séance du 25 avril 1976, un rapport du Professeur BIGNON qui déclare, en conclusion de son exposé :
" Etant donné laccroissement exponentiel de la production damiante pendant les 30 à 40 dernières années, qui est passé de 500 000 tonnes à 5 millions de tonnes, on peut prévoir pour les années à venir une augmentation progressive de la fréquence des cancers liés à lamiante, notamment des mésothéliomes, y compris sans doute dans la population générale du fait dune contamination de lenvironnement "..
Aussi, les pouvoirs publics, devant lévidence, publient-ils deux séries de textes :
- les uns sont élaborés par le Ministère du Travail. Le texte le plus important est le décret 77-949 du 17 août 1977 qui resta en vigueur, sous réserve de quelques modifications, jusquau mois février 1996,
- les autres furent élaborés par le Ministère de la Santé et portent essentiellement sur le flocage damiante.
Le décret du 17 août 1977 était évidemment un progrès puisquil venait combler, partiellement, un vide réglementaire complet en matière de prévention. Il ne fut négocié, pour lessentiel, quavec les seules entreprises de lindustrie de lamiante. Nous en voulons pour preuve la lettre du 11 janvier 1977 adressée par trois fédérations C.G.T. à la Chambre Syndicale de lAmiante et au Syndicat de lamiante-ciment (annexe 15 de louvrage : " AMIANTE, LA VERITE "), lettre où lon peut lire :
" Vous nignorez pas quun projet de réglementation est en cours détude dans les services de certains Ministères. Nous avons de bonnes raisons de croire que seules les organisations de salariés sont exclues de la consultation. Mieux encore, le secret dont les pouvoirs publics entourent cette étude à légard de nos organisations de salariés, ne procède pas dune attitude normale, alors que votre organisation est associée à cette étude depuis de nombreux mois. Nous en voulons pour preuve, la réponse du Ministre de la Santé publiée au Journal Officiel du 31 juillet 1976 à la question écrite n° 29.7070.
Dans ces conditions, nous apprécierons vivement votre intervention auprès des Ministres concernés par la réglementation en question pour faire cesser cette attitude discriminatoire. Elle se poursuit, du reste, en dépit dune intervention confédérale CGT - CFDT en date du 9 décembre 1976, à laquelle nos confédérations nont même pas reçu de réponse à ce jour. Votre démarche nous paraîtrait être conforme au dernier point avancé dans la déclaration que vous avez rendue publique, lorsque vous indiquez vouloir collaborer avec les pouvoirs publics et les " partenaires sociaux " pour reprendre votre propre expression : à létablissement et à la stricte application dune réglementation des conditions de travail et demploi dans lamiante.
Il nous paraîtrait très conforme à lintérêt des salariés, pour ce qui concerne leur santé à la fois à lintérieur et à lextérieur de lentreprise, dobtenir des pouvoirs publics, une consultation de lensemble des interlocuteurs. La partie salariale ne saurait se contenter dêtre consultée lorsque les textes élaborés seront présentés à la Commission dHygiène Industrielle auprès du Ministre du Travail ".
Mais ce décret du 17 août 1977 ne répondait pas aux exigences dune véritable politique de prévention, exigences telles quelles apparaissaient alors dans le rapport du groupe dExperts du BIT, dans la déclaration du 16-19 août 1976 de la Conférence Mondiale de la FIOM (Fédération Internationale des Ouvriers de la Métallurgie) et dans les divers textes du Collectif de JUSSIEU.
Les insuffisances réglementaires de cette époque sont à lorigine des morts daujourdhui et de demain. Les principales critiques qui furent émises à lépoque contre ce décret étaient les suivantes :
- Aucun article nincitait les utilisateurs damiante à employer des matériaux de substitution moins dangereux. Le remplacement progressif de lamiante comme matière première nétait donc pas intégré dans la stratégie de prévention que prétendait construire le décret. Aujourdhui encore, après les décrets du mois de février 1996, aucun texte réglementaire nincite les utilisateurs à remplacer lamiante, en contradiction flagrante avec larticle R.231-56 du Code du Travail concernant lemploi des matériaux cancérogènes, article qui stipule à propos de tout emploi dun cancérogène :
" Lemployeur doit, notamment, réduire son utilisation en le remplaçant, dans la mesure où cela est techniquement possible, par une substance moins dangereuse pour la santé des salariés. Le résultat de la recherche de la possibilité de cette substitution doit être fourni par lemployeur à lInspecteur du Travail sur sa demande. Si le remplacement nest pas réalisable, lutilisation de lagent cancérogène doit se faire dans un système clos ".
Or, dans la très grande majorité des cas, le remplacement de lamiante est techniquement possible. La preuve en est apportée par la substitution, réalisée en EUROPE et ailleurs, de lamiante utilisé dans la fabrication des plaques et canalisations en fibrociment (le plus gros consommateur damiante) ou dans des dispositifs automobiles de friction (frein, embrayage).
- Aucune mesure particulière nétait édictée contre les amphiboles et en particulier contre la crocidolite, variété damiante la plus dangereuse au niveau de la plèvre. Il fallut attendre 1994 pour obtenir en FRANCE linterdiction complète de limportation et de la commercialisation des amphiboles, alors que pour la crocidolite cétait chose faite en 1977 et même plus tôt, en GRANDE BRETAGNE, au DANEMARK, en FINLANDE et en SUEDE. Par ailleurs, la valeur limite de concentration dans lair était, nous le verrons, la même pour toutes les variétés damiante, alors quen GRANDE BRETAGNE, elle était dix fois plus basse pour la crocidolite, quand sa présence était décelée dans les revêtements en place.
- Aucune valeur limite damiante dans lair nétait proposée sur un temps court (inférieur ou égal à une heure), ce qui permettait, avec seulement une valeur moyenne sur 8 heures, lexistence de pics dexposition importants, pendant des temps brefs, pouvant conduire à une forte contamination pulmonaire.
- La valeur limite sur un poste de 8 heures (2 fibres par cm3 dair) était beaucoup trop élevée.
Il y avait pourtant à lépoque un consensus international pour considérer quune telle valeur ne permettait pas de faire face au risque de cancer et quelle permettait seulement de diminuer le risque de fibrose (asbestose et plaques pleurales). A cette époque déjà le NIOSH (National Institute For Occupational Safety and Health), aux USA, proposait, tout comme la Fédération Internationale des Ouvriers de la Métallurgie (FIOM), une valeur limite à 0,1 fibre par cm3 dair, celle qui est enfin imposée par le décret de février 1996 !
- Enfin le décret ne prévoyait pas la protection (capotage, mise en dépression ou travail au mouillé) de toutes les machines mais seulement de celles qui travaillent en continu et qui sont les plus polluantes.
Ainsi un type dopération, comme louverture des sacs damiante au couteau qui ne représentait que peu de temps sur un poste de travail de 8 heures, et donc un empoussièrement moyen sur 8 heures inférieur à 2 fibres/cm3, a-t-il pu être perpétué jusquà aujourdhui , puisque seules devaient être capotées ou mises en dépression les opérations entraînant un dépassement de la norme...
En conclusion, les insuffisances du Décret étaient telles que le Collectif de JUSSIEU, dans une déclaration publique, pouvait écrire :
" Ce décret apparaît comme un alibi que se donnent gouvernement et employeurs pour laisser croire quils ont quelque souci de la protection des travailleurs. Il sagit beaucoup plus dune tentative visant à freiner le développement des luttes pour la sécurité que dun pas en avant réel vers des mesures de prévention efficace ".
Le second groupe de textes réglementaires sur la prévention comporte larrêté du 29 juin 1977 et le décret n° 78 du 20 mars 1978, tous deux portant sur le flocage damiante.
Le premier de ces textes se borne à interdire le flocage damiante dans les bâtiments dhabitation. Il sagit dune cote mal taillée, adoptée sous linfluence des industriels qui cherchent encore à défendre la technique du flocage " sous réserve que les règles du métier soient observées " (intervention de Monsieur JOIN, Chambre Syndicale de lAmiante, au Conseil Supérieur dHygiène Publique de FRANCE du 26 avril 1976).
Linsuffisance du texte était telle que les protestations, y compris celle du Conseil Supérieur dHygiène Publique de FRANCE, obligèrent les pouvoirs publics, et en particulier le Ministre de la Santé, en référence au Code de la Santé Publique, à interdire totalement, un an plus tard, tout flocage de matériaux contenant plus de 1 % damiante (décret du 20 mars 1978.
Dans ce même décret est annoncé un Arrêté conférant un agrément à un procédé permettant soit de supprimer lémission de poussières, soit de capter celles-ci à leur source, lors des travaux de démolition de bâtiments contenant des flocages à lamiante... LArrêté ne vit jamais le jour ! Et il fallut attendre les années 1987 puis 1992 pour que soit réglementée la démolition des bâtiments contenant des flocages damiante.
Deux lacunes majeures du décret du 20 mars 1978 eurent des conséquences particulièrement graves en termes de risque sur les populations.
- Première lacune : le décret ne prend en compte que les flocages (revêtement présentant un aspect superficiel fibreux, velouté ou duveteux ).
Or, de nombreux autres matériaux contenant de lamiante existaient et existent toujours dans les bâtiments et sont la source dune pollution grave touchant le personnel de maintenance et dentretien et les habitants des locaux. Nous nen prendrons que deux exemples :
* Le " Progypsol ", plâtre aéré, est un matériau relativement tendre comme la reconnu la Société LAMBERT qui la commercialisé. Il contient 5 à 10 % damiante.. En 1975, la Société LAMBERT avançait déjà un million de m² recouvert de ce matériau qui à notre connaissance na jamais été interdit. Or, avec le temps ce matériau seffrite et engendre une pollution très sérieuse comme cela a été constaté récemment à la Faculté de Médecine NECKER à PARIS. Il y a actuellement des centaines de milliers de m² de ce revêtement dans les hôpitaux français. Ils échappent non seulement au décret de 1978 mais également au décret 96-97 du 7 février 1996.
* Le " Pical ",matériau en plaques, de faible densité, friable, contenant une forte proportion damosite (amiante de type amphibole), a été commercialisé au moins jusquen 1983 par la Société ETERNIT. La publicité pour ce matériau recommandait den mettre partout, y compris dans les caves, les écuries, les salles de bains. Ce type de matériau qui dégage facilement une poussière particulièrement nocive ne fut finalement interdit quen 1994 lors du bannissement des amphiboles. Le décret 96-97 du 7 février 1996 ne fait nullement obligation aux propriétaires dimmeubles den rechercher la localisation...
- La seconde lacune grave du décret du 20 mars 1978 est labsence de toute mesure de prévention face aux flocages déjà existants et, par extension, face à tous les matériaux contenant de lamiante dans les bâtiments. Rien de fut prévu pour protéger, revêtir ou enlever ces flocages dans de bonnes conditions de sécurité, et ce, contrairement aux demandes du Conseil Supérieur dHygiène Publique de FRANCE (rapport annuel 1977).
Il faudra attendre la campagne dinformation des années 1994-1995 pour que soient prises de nouvelles mesures face " à lamiante en place ". Le résultat de cette grave lacune réglementaire est que de la fin des années 1960 à 1996 où apparaissaient les premières mesures contre lamiante en place, des centaines de milliers de personnes ont été exposées à lamiante en place, personnes travaillant dans tous les secteurs du bâtiment, de lindustrie et de divers services, ainsi que les simples occupants des lieux.
Dès aujourdhui, on peut commencer à comptabiliser les décès par cancer dus à une exposition à lamiante dans la période considérée, en particulier dans le secteur du bâtiment ; Compte tenu des temps de latence des pathologies en cause, ces décès vont continuer à survenir au moins pendant les quarante années à venir.
L'inaction des pouvoirs publics en matière de prévention s'est accompagné de la mise en place d'obstacles en matière de réparation.
Pour illustrer ces restrictions on notera que le tableau 30, issu de la modification de 1985 nadmet le cancer broncho-pulmonaire primitif ainsi que les affections cancéreuses que si la relation avec lamiante est médicalement caractérisée. Cela a pour conséquence de renverser la charge de la preuve et de méconnaître le principe de présomption dimputabilité qui fonde la réparation des risques professionnels.
Saisi par la FNATH, le Conseil dEtat décidait le 10 juin 1994 quen effet la rédaction du tableau 30 méconnaissait le principe de présomption dimputabilité. Il censurait ces dispositions.
Il fallut attendre le mois de mai 1996 pour que, surmontant les réticences patronales au sein de la Commission des maladies professionnelles, le Ministère du Travail publie un nouveau tableau 30 et 30 bis rétablissant les victimes dans leur droit à réparation.
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Si la responsabilité des différents Ministères, en particulier Santé et Travail , est manifestement engagée dans cette absence de mesures réglementaires, il est également dautres structures étatiques et para-étatiques dont la responsabilité est évidente.
Citons en particulier lINRS et les deux versions successives de la Commission de toxico-vigilance.
LInstitut National de Recherche et de Sécurité (INRS) est une association (loi 1901) constituée sous légide de la Caisse Nationale dAssurance Maladie.
" LINRS apporte son concours aux services officiels, à la CNAM, aux CRAM, aux CHSCT, aux entreprises, enfin, à toute personne, employeur ou salarié qui sintéresse à la prévention ".
En fait lINRS a plutôt " apporté son concours " aux industriels de lamiante. L INRS figurait, lui aussi, au coeur du dispositif de lobbying mis en place par ces industriels. Son Directeur Général, Dominique MOYEN, fait partie des personnes à lorigine du Comité Permanent Amiante, et Jean-Claude LAFOREST, membre de lI.N.R.S., en fut lun des membres les plus actifs.
La revue officielle de cet organisme, " Travail et Sécurité " apporte un éclairage intéressant quant à la politique de lInstitut vis-à-vis de lamiante. Alors que lon pourrait sattendre, compte tenu de ses missions, à ce que lINRS privilégie les intérêts de santé publique, ce sont curieusement les propriétés physico-chimique du matériau qui sont mises en avant. Il est possible de lire dans le n° 7/8 (page 373) publié en 1979 : " leur utilisation restera inévitable dans la fabrication de nombreux matériaux ".
La rédaction du chapeau de cet article, en annonçant que " des recherches sont toujours en cours dans de nombreux laboratoires pour établir la filiation entre lutilisation de lamiante et la pathologie observée ", peut laisser croire quen 1979, des doutes subsistent encore quant à la cancérogénicité de lamiante.
Dans le n° 12 de 1989 de la même revue, lINRS semble avoir complètement délégué sa mission de prévention et dinformation au CPA. Le titre de larticle page 691 est dailleurs ainsi rédigé : " Pour une utilisation contrôlée de lamiante et des fibres de substitution ", ce qui constitue le message fort du CPA.
Toutes les thèses du CPA sont reprises et développées dans larticle, sans aucune analyse objective des problèmes de santé publique que soulève lutilisation " contrôlée " de lamiante, ni allusion aux problèmes graves dexposition des ouvriers intervenant dans des bâtiments floqués.
Au contraire, larticle annonce de façon mensongère que " les progrès réalisés en FRANCE depuis 1983 sont remarquables : abaissement des taux dempoussièrement, amélioration de la surveillance et des contrôles, mesures strictes de protection des personnes exposées ". Il faut noter encore que dans cet article, pas un mot nest dit sur les dangers de lutilisation de lamiante et que pas une seule fois le terme cancérogène nest prononcé.
Enfin le numéro de décembre 1995 consacre un dossier complet à lamiante.
Ce numéro arrive opportunément en pleine mobilisation contre lamiante comme si lINRS avait besoin de se justifier, ce que semble faire son Directeur Général, dans léditorial quil consacre au sujet, en tête du dossier.
Cette fois lINRS est bien obligée dinsister sur " le danger permanent de lamiante " notamment à cause des flocages qui ont été effectués dans divers types de locaux et qui présentent " un risque pour les ouvriers qui interviennent sur les plafonds et les parois des locaux concernés ".
Pour autant, alors que les pouvoirs publics ont décidé sous la pression des associations de se retirer du CPA, " Travail et Sécurité " ne craint pas de confier un article important de ce dossier, consacré aux pathologies dues à lamiante, à un membre éminent du CPA : le Professeur Patrick BROCHARD qui reprend le thème majeur du CPA, la défense de lusage contrôlé du chrysotile !
Les propos du Professeur BROCHARD sur les risques des fibres chrysotile vont à lencontre du plus élémentaire principe de précaution. Il écrit notamment : " le suivi épidémiologique des cohortes exposées au seul chrysotile a montré que les maladies induites ne survenaient que pour des doses beaucoup plus importantes que celles qui sont actuellement observées dans le milieu du travail ".
En définitive, il semble évident que lINRS, comme les administrations centrales chargées dune mission de santé publique a participé au côté et au sein du CPA à la désinformation et à la minimisation des risques dus à lamiante.
Il est évident que cette Institution a aujourdhui failli à sa mission de prévention et ce malgré des moyens considérables.
Les raisons de cette faillite sont à rechercher dévidence dans le mode dadministration de cet Institut contrôlé, de fait, par les représentants des Industriels.
La Commission de Toxico-vigilance qui se réunit dans le cadre du Ministère chargé de la santé a été créée par un arrêté ministériel du 10 avril 1980 mais ne sest réunie que deux ans plus tard. Sa mission est de " connaître le risque pour lhomme de lutilisation dun produit chimique, en grandeur réelle ".
La mission de cet organisme fut élargie et précisée par un arrêté du 20 janvier 1988, mais à notre connaissance cette Commission de toxico-vigilance ne sest jamais saisie du problème de la prévention face au cancérogène industriel le plus répandu et le plus destructeur, en loccurrence lamiante.
8 - LES INCRIMINATIONS PENALES
8-1 - Les principaux industriels de lamiante qui ont organisé cette branche dactivité et en ont décidé les orientations stratégiques. Ils ont utilisé - travaillé - transformé et commercialisé le matériau en pleine connaissance du risque quils faisaient courir.
- Leurs complices (COMITE PERMANENT AMIANTE, autorités publiques et responsables du dispositif de veille sanitaire, Experts Techniques, Scientifiques et médicaux).
Ils sont à lorigine dun nombre important de décès dont ils savaient quils étaient la conséquence inéluctable de lactivité quils avaient décidé dentreprendre puis de poursuivre ou laisser poursuivre sans considération aucune pour la vie dautrui..
Ils se sont ainsi rendus coupables du crime dempoisonnement que lancien Code Pénal définit à larticle 301 de la façon suivante :
" est qualifié dempoisonnement tout attentat à la vie dune personne, par leffet de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées ou administrées et quelles quen aient été les suites ".
Et que le Nouveau Code Pénal définit à larticle 221-5 comme :
" le fait dattenter à la vie dautrui par lemploi ou ladministration de substance de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement.
Lempoisonnement est puni de 30 ans de réclusion criminelle.
Il est puni de réclusion criminelle à perpétuité lorsquil est commis dans lune des circonstances prévues aux articles 221-2, 221-3 et 221-4.
Les deux premiers alinéas de larticle 132-23 relatifs à la période de sûreté sont applicables à linfraction prévue par le présent article ".
Il faut retenir, en effet, que lempoisonnement est un attentat, cest à dire littéralement une tentative.
Cest une infraction formelle qui est constituée par la seule administration de substances qui peuvent donner la mort.
Lacte dempoisonnement nest donc pas caractérisé par le fait de donner la mort mais par le fait de donner des produits qui peuvent donner la mort.
Lélément intentionnel dans le crime dempoisonnement est constitué uniquement par la conscience du caractère mortifère du produit que lon administre et de la conscience quen a celui qui agit de façon volontaire.
Dans ce type de crime, ladministration de la substance révèle lintention requise, lintention de tuer nétant quun mobile indifférent pour caractériser lempoisonnement.
Le fait que ladministration consciente résulte dun mobile homicide ou dun mobile commercial, est indifférent.
Il faut relever une circonstance particulière en lespèce. Depuis plus de vingt ans, les industriels de lamiante et leurs complices ont mené une politique délibérée de désinformation et dinfluence auprès de ladministration, ce qui établit un peu plus le lien entre lintention de vendre un produit mortifère et la conscience de faire courir un risque de mort à autrui.
8-2. Lensemble des industriels de lamiante et leurs complices ainsi que les autorités publiques et les Responsables Administratifs du dispositif de veille sanitaire
8-2-1. Ils ont commis le crime prévu par larticle 311 ancien du Code Pénal :
" Toute personne qui volontairement aura porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort sans lintention de la donner sera punie dune peine de cinq à quinze ans de réclusion criminelle ".
Il est établi que les victimes ont subi des voies de fait par action ou par omission faute pour les industriels et leurs complices davoir accompli le devoir qui leur incombaient à savoir cesser ou faire cesser lexposition aux risques ou intervenir réglementairement.
Constitue également une voie de fait la tromperie volontaire sur les risques dun produit. Les agissements des industriels et de leurs complices, rappelés ci-dessus, démontrent le caractère volontaire et délibéré de la dissimulation.
8-2-2. Ils se sont en tout état de cause rendus coupables des délits dhomicide et blessures par imprudence sanctionnés par les articles 319 et 320 anciens du Code Pénal et 221-6 et 222-19 du Nouveau Code Pénal.
Larticle 319 ancien du Code Pénal dispose : " quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence et inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide ou en aura involontairement été la cause, sera puni dun emprisonnement de trois mois à deux ans et dune amende de 1 000 F. à 30 000 F. ".
Le nouvel article 221-6 du Code Pénal dispose :
" le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort dautrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans demprisonnement et de 300 000 F. damende.
En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi et les règlements, les peines encourues sont portées à cinq ans demprisonnement et à 500 000 F. damende ".
Sont également visées les dispositions de larticle 320 ancien du Code Pénal qui prévoit :
" Sil est résulté du défaut dadresse ou de précaution des blessures, coups ou maladies entraînant une incapacité totale de travail personnel pendant plus de trois mois, le coupable sera puni dun emprisonnement de quinze jours à un an et dune amende de 500 F. à 20 000 F..
Article 222-19 :
" Le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans demprisonnement et de 200 0000 F. damende.
En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou dimprudence imposée par la loi et les règlements, les peines
encourues sont portées à trois ans demprisonnement et à 300 000 F. damende ".
Article 220-20 :
" Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail dune durée inférieure ou égale à trois mois est puni dun an demprisonnement et de 100 000 F. damende ".
La plainte se fonde sur limprudence, la négligence et le manquement à plusieurs obligations de sécurité et de prudence imposées par la loi et les règlements.
Limprudence est une méconnaissance des règles de prudence qui a pour effet la prise de risques ou un défaut de précaution nécessaire malgré léventualité prévisible des conséquences dommageables.
Cest en définitive, parce que le dommage est prévisible que le comportement est fautif.
La négligence consiste à ne pas prendre les précautions nécessaires par paresse, impéritie ou indiscipline.
Il faut, enfin, rappeler ce que le Législateur et la jurisprudence entendent par " les règlements ".
Il ne sagit pas ici du " règlement " entendu au sens constitutionnel du terme. Le parallèle a dailleurs été fait par la doctrine avec la rédaction de larticle 223-1 du Nouveau Code Pénal qui crée le délit de risque causé à autrui. Ce texte vise le règlement et non pas les règlements.
La notion de règlement est donc ici très large. Par exemple, les Juges du fond y classent traditionnellement les règles professionnelles et déontologiques, les circulaires, les instructions ministérielles. La circulaire générale du Ministère de la Justice du 14 Mai 1993 explicitant le nouveau Code Pénal considère, à titre dexemple supplémentaire que le règlement intérieur dune entreprise pourrait être considéré comme un règlement (de sécurité).
En matière dhygiène et de sécurité, la jurisprudence a depuis longtemps assimilé la faute pénale à la faute civile. Les Juges font souvent référence au comportement moyen " du bon père de famille " et, beaucoup plus simplement, au simple bon sens.
Un comportement de " bon père de famille " et le respect du bon sens sont spécialement exigés lorsque la technologie mise en oeuvre ou les produits utilisés sont particulièrement dangereux.
Ces règles deviennent alors le support dobligation particulière de prudence dont linobservation constitue la faute dimprudence.
En définitive, la jurisprudence met à la charge du Chef dentreprise ou de ses collaborateurs, une obligation générale de sécurité qui leur impose de prendre les mesures que les circonstances commandent.
Cette obligation est indépendante des mesures expressément obligatoires par des textes relatifs à la sécurité des travailleurs.
Cette obligation générale de sécurité est dailleurs rappelée par certains articles de portée générale contenus dans le Code du Travail (articles L 230-2, L.232-1, L 233-1 du Code du Travail).
En matière dhomicide ou de blessure involontaire, la responsabilité est cumulative. Dès lors, il nest pas nécessaire que la faute soit directe ou exclusive. Les auteurs de diverses fautes qui ont pu à des degrés divers concourir au dommage, peuvent être poursuivis et condamnés simultanément sans quaucun deux ne puisse se retrancher derrière la faute des autres pour être exonéré de sa propre responsabilité. Il nest pas nécessaire que ces auteurs se connaissent ni que leur faute soit liée ni quelle soit concomitante. Au contraire, les fautes commises par les divers auteurs peuvent être indépendantes les unes des autres et être intervenues à des moments différents. Il suffit pour que chacun des auteurs soit déclaré coupable que sa propre faute ait un lien avec le dommage.
Enfin, la jurisprudence a été amenée, à plusieurs reprises, à se prononcer sur des délits de blessures ou dhomicides involontaires en matière de maladies professionnelles (notamment COUR DAPPEL DE DOUAI - 28 janvier 1982, notes FENAUX et LEVASSEUR).
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Or, il a été rappelé, notamment dans le chapitre V ci-dessus, les modalités de diffusion des informations sur la toxicité de lamiante dans le champ social.
Dès les années 1930 et au plus tard en 1975, les " professionnels de tous ordres " nignoraient pas ou ne pouvaient pas ignorer les dangers.
Dès 1975, les connaissances scientifiques, même objet dune certaine controverse, étaient suffisamment avérées pour constituer le point de départ dune obligation dagir opposable aux industriels et à lensemble de leurs complices. En dépit dune incertitude scientifique résiduelle, la cristallisation des connaissances scientifiques était telle quelle imposait une action et justifie la sanction juridique de linertie.
Dès lors, les industriels et leurs Conseils en ne prenant pas la décision dinterrompre sans délai toute exposition à lamiante et en pratiquant, le cas échéant, une véritable désinformation sur les risques encourus ont commis des imprudences et des négligences directement en relation avec les blessures occasionnées aux victimes et avec les décès.
Ils ont, en définitive, directement ou indirectement validé lexposition à lamiante au sein de nombreuses entreprises.
De surcroît, depuis la mise en application du Nouveau Code Pénal, peut être relevée la circonstance aggravante du manquement délibéré.
En effet, est considéré comme " délibéré " le comportement dun entrepreneur ou dun " décideur " qui, malgré sa connaissance particulière du risque refuse dintervenir et de mettre en place les mesures de sécurité.
Les personnes visées dans la plainte étant par définition des " spécialistes " de lamiante, lexistence de cette circonstance aggravante est établie.
8-3 - Les différents entrepreneurs qui ont exposés occassionnellement leurs salariés aux risques liés à lamiante et leurs complices.
Ces derniers se sont rendus coupables des délits dhomicide et blessures par imprudence sanctionnés par les articles 319 et 320 anciens du Code Pénal et 221-6 et 222-19 du Nouveau Code Pénal.
Les modalités de commission de ces délits ont été rappelées ci-dessus.
8-4 - Les autorités publiques concernées et les responsables administratifs du dispositif de veille sanitaire.
- Larticle 63 du Code Pénal précise :
" Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un fait qualifié de crime, soit un délit contre lintégrité corporelle de la personne, sabstient volontairement de le faire.
Sera puni des mêmes peines quiconque sabstient volontairement de porter à une personne en péril lassistance que sans risque pour lui ni pour les tiers il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ".
- Larticle 223-6 du Nouveau Code Pénal est ainsi rédigé :
" Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre lintégralité corporelle de la personne sabstient volontaire de le faire est puni de cinq ans demprisonnement et de 500 000 F. damende.
Sera puni des mêmes peines, quiconque sabstient volontairement de porter à une personne en péril, lassistance que sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle soit en provoquant un secours ".
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Laffaire dite du " sang contaminé " a donné lexemple de lapplication de larticle 63 à des prévenus participants à la préparation de lactivité réglementaire.
Pour ce faire, il suffit de prendre en compte le contexte technique et scientifique qui a été longuement décrit dans le texte de la présente plainte et qui démontre la connaissance que les responsables du dispositif de veille sanitaire avaient de lextrême danger que couraient les personnes exposées aux risques dinhalation de poussières damiante.
Labstention délictueuse vise le défaut de participation à lactivité normative à laquelle il convient dassimiler lintervention insuffisante ou inadaptée.
Lexposé chronologique de lutilisation industrielle de lamiante démontre que les quelques interventions normatives réalisées ont toujours été largement insuffisantes. Elles sont toujours intervenues en concertation avec le groupe de pression des industries de lamiante. Elles ont toujours eu pour objectif de permettre la poursuite de lutilisation de ce matériau sous les seules contraintes dune réglementation insuffisante, inefficace et mal appliquée.
Les fonctionnaires chargés de la santé publique ne pouvaient ignorer la commission de multiples infractions en relation avec lutilisation de lamiante, dès lors quils avaient reconnu à partir de 1950 des maladies professionnelles liées à lamiante. A partir de 1975, ils le pouvaient dautant moins que les informations sur les dangers de lamiante étaient connues du grand public. A partir de 1982, en participant directement aux " activités " du C.P.A., ils sen faisaient complices.
Il est clair quen situation de risques, une hypothèse non infirmée doit être tenue provisoirement pour valide, même si elle nest pas formellement démontrée.
Il nest pas nécessaire davoir une totale certitude scientifique pour agir sur le plan politique ou administratif.
En lespèce, aucune stratégie durgence na été élaborée. Les réactions de ladministration ont toujours été insuffisantes ce qui équivaut à une abstention.
Une circulaire du 31 juillet 1995 émanant de la Direction Générale de la Santé résume les dangers et la politique de la FRANCE sur le sujet :
" Compte tenu des informations parfois contradictoires actuellement diffusées au sujet de lamiante, nous pensons utile de vous apporter quelques précisions.
Lamiante a été très largement utilisé dans les constructions de différentes installations (constructions navales, bâtiments... entre 1950 et 1980 pour ses propriétés particulières disolant (thermique et phonique) et de protection contre lincendie et notamment par le procédé dit du " flocage " .
Des preuves ont été apportées du caractère cancérigène de lamiante (mésothéliomes, cancers broncho-pulmonaires), en plus des atteintes pulmonaires interstitielles et pleurales bénignes auquel il expose...
La politique de la FRANCE vis à vis de lamiante est jusquà présent celle de lusage contrôlé de cette fibre par la réduction progressive des situations reconnues dangereuses : interdiction de lusage de certaines variétés de fibres et de certaines productions, limitation et contrôle des émissions de fibres dans les milieux de travail et de lenvironnement, application de méthodes de travail et de gestion des déchets plus sûres. Cette politique est conforme aux directives européennes transcrites en droit interne... "
Cest bien de façon délibérée que labstention puis les restrictions dans lintervention des autorités publiques en matière réglementaire ont abouti à la situation catastrophique dénoncée par la présente plainte.
Dès lors les infractions sont constituées.
Cest pourquoi, lASSOCIATION ANDEVA et Monsieur
déposent plainte contre X et toute personne dont linstruction révélerait limplication dans les crimes et délits énoncés ci-après :
- lempoisonnement visé par larticle 302 ancien du Code Pénal et 221-5 du Nouveau Code Pénal,
- les voies de fait ayant entraîné la mort visées par larticle 311 ancien du Code Pénal,
- lhomicide involontaire prévu par les articles 319 ancien et 221-6 du Nouveau Code Pénal,
- les coups et blessures involontaires visés par les articles 320 ancien et 222-19 du Nouveau Code Pénal,
- labstention délictueuse visée par larticle 63 de lancien Code Pénal et 223-6 du Nouveau Code Pénal.
Ils se constituent partie civile et offrent de consigner entre vos mains la somme quil vous plaira de fixer.
Fait à PARIS,
Le