MEMOIRE AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Le 12 décembre 2000

DEPOSE PAR:

L'Association Nationale des Victimes de 1-Amiante

22, rue des Vignerons

94686 VINCENNES Cedex

 

A la suite du recours introduit Par les Députés et Sénateurs le 8 Décembre 2000 à l'encontre de la Loi de Financement de la Sécurité sociale pour 2001.

Le présent mémoire vise le 3ème paragraphe du point IV. de l'article 42 ainsi rédigé :

"L'acceptation de l'offre au la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en Justice prévue au V, vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.

Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante."

L'article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme dispose,

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un Tribunal indépendant et impartial, établi par le Loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle."

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans un arrêt GOLDER C./ ROYAUME UNI du 21 Février 1995, a précisé la portée des dispositions de l'article 6-1 de la Convention - "Le droit d'accès aux Tribunaux... se prête à des limitations, mais ces limitations ne doivent pas restreindre "l'accès ouvert à l'individu d'une manière au à un point tel que le Droit s'en trouve atteint dans sa substance même" ; pareille limitation "ne se concilie avec l'article 6-1 que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé

Or "le but visé, en l'occurrence une juste articulation entre l'intervention du Fonds d'Indemnisation des Victimes de ['Amiante et les actions juridictionnelles entreprises par les victimes devant permettre une indemnisation intégrale en évitant l'écueil d'une 'double indemnisation" (par le Fonds d'indemnisation d'une part, par les actions juridictionnelles de l'autre), conduit à dessaisir gravement les victimes d'une partie de leurs droits aujourd'hui garantis par les recours juridictionnels, si l'on admet que, conformément à ce qui est indiqué dans le recours introduit par les Députés devant le Conseil Constitutionnel :

"Les délais de jugement définitifs, les frais d'accès de justice peuvent se révéler longs et coûteux. Les malades de l'amiante présentent des pathologies sérieuses pouvant entraîner Lin décès rapide, L'ensemble de ces éléments constitue autant de facteurs dissuasifs à la saisine de J'autorité judiciaire et pouvant inciter ces malades à l'acceptation d'une indemnisation plus rapide au préjudice de leurs droits.

... S'il est vrai que le requérant conserve le droit de refuser une offre du Fonds, l'avantage qu'il retire toutefois d'une indemnisation rapide en moins de six mois, apparaît hors de proportion avec les inconvénients qui résulteraient pour lui de la poursuite des actions judiciaires compte tenu des aléas de la procédure, des lenteurs de l'appareil judiciaire et du risque d'une réduction sensible de son espérance de vie,

La victime n'ayant que peu d'éléments d'information sur les conséquences de l'acceptation de l'offre du Fonds, par rapport à l'indemnisation à laquelle elle pourrait prétendre en suivant les procédures d'indemnisation de droit commun, n'aura raisonnablement pas d'autres choix que celui d'accepter l'offre du Fonds et renoncer à ses droits juridictionnels."

En ce qui concerne par exemple les victimes de contaminations professionnelles qui constituent la grande majorité des personnes contaminées, leurs droits sont régis par les dispositions du livre IV du Code de la Sécurité Sociale,

La Législation sur la Sécurité Sociale constitue un ensemble de textes dérogatoires du Droit Commun, d'ordre public et visant tout à la fois, dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles, à la réparation des préjudices subis par les victimes et à la prévention.

Or, l'annulation des droits spécifiques de la victime par l'acceptation de l'offre du Fonds, lui retirera certains avantages, par exemple l'allocation en cas de faute inexcusable alors que la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, d'une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal (Article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale) et entravera le rôle préventif des sanctions économiques prises à l'égard de l'employeur responsable dans le cas de fautes inexcusables.

Certes le Législateur a tenté de prévenir le premier risque en introduisant un paragraphe 2 au sein du point IV, indiquant qu'une nouvelle offre devait être présentée "si une indemnisation complémentaire est susceptible d'être accordée dans le cadre d'une procédure pour faute inexcusable de l'employeur."

Ce paragraphe sera en réalité sans effet, puisque l'offre devra être présentée "dans les mêmes conditions' que l'offre principale prévue au le' alinéa du point IV, notamment en indiquant "l'évaluation retenue pour chaque chef de préjudice" alors que les dispositions précitées de l'article L 452-3 constituent un droit pour la victime qui ne correspond ni à un préjudice particulier, ni par conséquent à un "chef de préjudice" indemnisable, dans la mesure où le Code de la Sécurité Sociale a prévu une indemnisation forfaitaire complémentaire n'obéissant à aucune règle contenue dans le Droit Commun de l'indemnisation.

Une telle restriction prévue pour les maladies les plus graves correspond à une atteinte du droit "dans sa substance même".

Pour tenter de résister à la critique relative à l'atteinte portée à l'équilibre des textes régissant la Sécurité Sociale, le Législateur a prévu en conséquence de l'alinéa 3 du point IV, un point VI indiquant que le Fonds se substitue à la victime dans toutes les actions qu'elle a entreprises ou qu'elle pourrait entreprendre.

Outre le fait que l'on voit mal comment le Fonds pourrait, à la place de la victime, apporter la démonstration des conditions de travail ayant existé dans des centaines d'entreprises, 20, 30 ou 40 ans avant la création du Fonds, il convient de relever que la point VII de l'article 42 qui énumère les sources de financement du Fonds, omet de signaler les ressources produites par le résultat des actions juridictionnelles entreprises par le Fonds en subrogation aux droits des victimes, alors qu'en 1"état actuel de la Jurisprudence et après plusieurs centaines de décisions juridictionnelles rendues dont un nombre important est aujourd'hui définitif, les Tribunaux ont dans la quasi totalité des cas, fait droit aux demandes de reconnaissance de la faute inexcusable engagées par les victimes de l'amiante.

On peut toutefois comprendre que la Loi ne fasse pas état de cette source Importante de financement du Fonds

Il a été rappelé les difficultés que rencontrera le Fonds pour apporter la preuve des conditions de travail anciennes, que le Fonds aura du mal à surmonter, à moins qu'il ne soit décidé de mettre à sa disposition des centaines d'agents d'investigation, transformant ainsi radicalement les missions d'un Fonds qui manifestement n'a pas été établi dans le but de déterminer et d'imputer les responsabilités, mais d'indemniser.

Il faut y ajouter le fait que l'action en faute inexcusable, si elle est suivie d'effet, conduira le Fonds en application du principe d'ordre public d'immunité de l'employeur (principe bien entendu incontesté dans la Loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2001), à se voir attribuer une majoration de rente correspondant très exactement aux droits de la victime et de ses ayants droit dont le terme ou les modifications seront fixés par les dates anniversaires des ayants droit de la victime et qui le cas échéant, devra subir des modifications en fonction de considérations tenant à leur personne (date de décès de la victime, da-te anniversaire de la majorité pour les enfants, date du décès pour les enfants et parents à charge...

Un tel suivi concernant des dizaines de milliers de victimes n'entre manifestement pas dans les missions du Fonds, il est pourtant la conséquence obligée de la Loi si celle-ci, par le jeu du 3"" paragraphe du point IV, persiste à exclure les victimes qui ont accepté l'indemnisation du Fonds des actions en faute inexcusable et à leur subroger le Fonds.

Celui-ci après avoir indemnisé la victime disposerait donc d'une action récursoire en faute inexcusable, conduisant la Caisse Primaire d'Assurance Maladie à verser au Fonds une rente ainsi que l'indemnisation de préjudices complémentaires en préalable à une deuxième action récursoire de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie à l'égard de l'employeur, en application des dispositions intangibles du Code de la Sécurité Sociale...

Est-il nécessaire d'ajouter que la prescription en matière de faute inexcusable court à compter d'un certain nombre de constatations ou de notifications effectuées à la victime.

Ces notifications dont le Fonds n'aura pas, dans un nombre important de cas, connaissance, rendrait donc inopposable le délai de prescription au Fonds, ce qui accroîtrait encore l'insécurité juridique...

Le texte est donc incompatible avec le respect du droit des victimes et avec les missions de prévention imparties au système de Sécurité Sociale.

Au regard de ces considérations, existe t'il un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ?

Certes non,. il suffisait de prévoir, afin d'éviter une double indemnisation, une information du Fonds et des Tribunaux sur les actions engagées par la victime et l'intervention comme partie jointe du Fonds dans toutes les procédures, distraction du montant des condamnations étant faite au profit du Fonds à hauteur des indemnisations versées par celui-ci, le Fonds restant titulaire d'une action à l'égard de la victime dans l'hypothèse où celle-ci aurait perçu à son insu des indemnisations qu'elle n'aurait pas déclarées.

Le troisième paragraphe du point IV de l'article 42 introduit donc tout à la fois un système injuste pour les victimes et portant atteinte à l'équilibre du système de Sécurité Sociale et à la sécurité juridique, puisque l'action du Fonds, à défaut de point de départ d'un délai de prescription qui lui est opposable, deviendrait imprescriptible.