LE MONDE | 21.09.01 | 13h45

La Cour des comptes dénonce les carences de la prévention des risques liés à l'amiante

Les pouvoirs publics sont accusés d'avoir accumulé du retard en raison de "la pression exercée par les industriels"

L'attitude de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) de la Sécurité sociale et celle des pouvoirs publics sont sévèrement mises en cause dans un rapport préliminaire de la Cour des comptes. L'action de la France aurait été "moins déterminée" et "plus tardive" que celle de nos voisins européens, en raison de "la pression exercée par les industriels". Le fonds d'indemnisation spécifique créé en 2000 n'est pas encore opérationnel.

Face à l'augmentation du nombre de pathologies imputables à l'amiante, l'attitude de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) du régime général de la Sécurité sociale ainsi que celle des pouvoirs publics sont sévèrement mises en cause dans un relevé de constatations provisoires de la Cour des comptes, dont Le Monde a pu prendre connaissance. Ce rapport préliminaire pose également un certain nombre de questions tant à la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés (Cnamts) qu'aux directions concernées du ministère de l'emploi et de la solidarité, qui devaient faire part de leurs réponses à la Cour des comptes avant la publication du rapport définitif prévue d'ici à quelques semaines.

Rappelant que les risques liés à l'amiante "sont connus de longue date", l'auteur du rapport souligne que ce minéral a pourtant "été utilisé de manière croissante après 1945, et jusqu'en 1973, sans qu'une politique globale de prévention des risques liés à son utilisation ait été mise en place, ni même envisagée". Pratiquée ensuite de 1977 jusqu'à l'interdiction définitive de l'amiante en 1997, la politique d'"utilisation contrôlée" de ce matériau "n'était pas fondée sur la volonté de minimiser autant qu'ils pouvaient l'être les risques encourus par les travailleurs et par la population". Le coût humain de cette politique a été évalué à environ 100 000 décès de 2000 à 2025. Le rapporteur précise que "l'adaptation des tableaux des maladies professionnelles concernant les affections liées à l'amiante n'a pas été plus rapide, différant ainsi la prise en charge de leur réparation par la branche AT/MP et les effets de cette prise en charge sur le montant des cotisations versées par les entreprises utilisatrices".

L'action de la France est qualifiée de "moins déterminée" et "plus tardive" que celle de beaucoup de nos voisins européens, un retard expliqué par "la pression exercée par les industriels, leur maîtrise de l'information et l'absence d'un signal fort émanant des autorités scientifiques et de celles chargées de la prévention". voir séquence Société L'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), rappelle le magistrat de la Cour, a été à l'initiative de la création, en 1982, du Comité permanent amiante, qui "est apparu assez rapidement comme un instrument permettant aux industriels de promouvoir une politique d'utilisation contrôlée".

"ABSENCE D'ANTICIPATION"

Evoquant "une absence d'anticipation", l'auteur du rapport estime "que le régime d'assurance contre les risques professionnels (...) n'a pas été un révélateur de l'étendue des risques liés à l'amiante et n'a pas cherché à jouer un rôle d'alerte en utilisant les informations dont il pouvait disposer sur la santé des salariés ; il a plutôt pris en compte avec retard le développement des pathologies liées à l'amiante". L'action de l'INRS n'est pas jugée avec plus d'indulgence. L'INRS n'a "pas utilisé sa compétence scientifique pour alerter les pouvoirs publics, les entreprises, les salariés sur les risques auxquels restaient confrontés de nombreux travailleurs du fait de l'utilisation de l'amiante", conclut le magistrat.

En matière de réparation, il a fallu attendre le décret du 31 août 1999 pour que soit favorisée "une plus large prise en compte de ces maladies par la branche AT/MP" et que soit consolidée "l'évolution sensible du nombre de reconnaissances", non sans que persistent de fortes disparités régionales. Cette évolution représente un coût croissant pour la branche AT/MP, sans que la Cnamts puisse encore le chiffrer. Il semble cependant que les maladies liées à l'amiante "représentent près de la moitié du coût des pathologies professionnelles" : 1,318 milliard de francs sur un total de 2,716 milliards (48,5 %) en 1997.

La création en 2000 d'un fonds d'indemnisation - qui n'est pas encore opérationnel -"invite à une réflexion plus générale sur la pertinence du dispositif d'indemnisation des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, tel qu'il est appliqué aujourd'hui par la branche AT/MP", et le rapporteur se demande "s'il est fondé, à terme, de conserver deux systèmes d'indemnisation", l'un de droit commun "applicable dans la majorité des cas, l'autre plus favorable, applicable aux seules victimes de l'amiante".

Enfin, le rapporteur examine le dispositif de cessation anticipée d'activité. En juin 2000, 2 398 dossiers avaient été acceptés sur les 4 128 soumis, avec un montant brut cumulé des allocations versées de 133,2 millions de francs depuis la mise en œuvre du dispositif. Le rapport souligne la "mise en œuvre relativement difficile" de ce dispositif, "marquée par une absence d'harmonisation dans le traitement des dossiers, elle-même imputable à la diffusion d'une information sans doute incomplète et trop tardive aux services ayant la charge de les instruire". A quoi sont venus s'ajouter "l'absence d'un outil informatique permettant de gérer efficacement l'allocation" et "une mise à disposition tardive des fonds permettant d'en financer le versement".

Paul Benkimoun